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Tyrrell 006

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Une voiture incroyable, un duo de pilote exceptionnel, mais une fin tragique, l’année 1973 de Ken Tyrrell n’aura pas connu la fin escomptée. Récit de cette folle saison au travers de la belle Tyrrell 006.

En 1972, l’ascension fulgurante de la Lotus 72D prend l’écurie Tyrrell de court. La 003, championne de 1971, n’est plus la meilleure voiture du plateau depuis que la monture de Chapman est arrivée aux mains du très rapide Emerson Fittipaldi. La construction d’une nouvelle monoplace est donc une nécessité si Stewart veut se battre pour le titre. L’écurie anglaise créa alors la 005, la première Tyrrell à arborer les fameuses cheminées iconiques des années 70. De nombreuses idées furent reprises sur la Lotus, notamment les pontons, permettant de loger les radiateurs d’huile. La voiture en elle-même paraît plus haute, plus massive, plus anguleuse. En effet, le pilote est installé plus haut dans sa monture. L’avant est également très retravaillé avec un aileron bien moins bombé que sur la précédente 004. Ce dernier renferme toujours le radiateur d’eau, comme sur les anciens modèles de l’écurie. Mais peu après la mi-saison, Ken Tyrrell se rend compte qu’il faudra bien plus que la 005 pour battre la 72D. Si Stewart souhaite pour autant garder sa 005 pour l’instant, la vieillissante 002 de Cevert doit être remplacée. La 006 est alors imaginée. Les différences ne sont pas majeures, la 006 n’étant qu’une grosse évolution. Cependant, on peut remarquer que les lignes sont plus fluides, les pontons sont plus larges, l’aileron arrière plus grand. Sous sa robe bleue nuit, le fameux V8 Cosworth trouve à nouveau refuge. Ce dernier développe jusqu’à quatre-cents cinquante chevaux avec sa cylindrée de 3L, puissance largement suffisante pour son poids plume de 578 kg. La première apparition en grand-prix de la bête bleue arrive sur le circuit de Mosport Park. En qualifications, Stewart bat son équipier français pour un petit dixième, pour le compte de la cinquième et sixième position. En course, Cevert s’élance très mal, au contraire de Stewart qui après quatre tours, pointe déjà en tête. Si la 006 remonte petit à petit, des ennuis de boîte de vitesses viendront mettre un terme à cette première sortie grand public. Quand à Stewart, il s’impose pour la première fois sur la 005, performance rééditée deux semaines plus tard, à Watkins Glen, trente-deux secondes devant la nouvelle monture de son équipier.

Si la 005 a de beaux restes, elle devrait pourtant être battue par la 006. Pour l’instant, le français n’affiche pas la vitesse de pointe du double champion écossais. Ce dernier fait d’ailleurs le choix de garder la 005 en début de saison 1973, attendant que sa successeure soit enfin plus rapide. Cette nouvelle campagne s’ouvre en Argentine, sous le soleil de Buenos Aires. Une fois encore, Stewart devance Cevert sur la grille mais dès l’abaissement du drapeau, le pilote de la 006 surgit de la sixième place pour se porter en tête. S’il ne peut résister à la Lotus de Fittipaldi, Cevert n’en demeure pas moins proche de son rival. Derrière, englué dans le peloton, l’écossais cherche toutes sortes de possibilités de dépassement. Petit à petit, la Tyrrell remonte dans le classement, jusqu’à la troisième place, son classement final. La 006 a enfin dépassé la 005, bien aidée, il faut dire, par l’envol complètement manqué de Stewart. Ce dernier rétablira l’ordre de 1972 à Interlagos, pour la première venue du Brésil en championnat du monde de Formule 1. Les deux Tyrrell manquent de performance et de puissance, les pénalisant grandement. Très loin sur la grille, le podium semble inenvisageable. A l’inverse de l’Argentine, le double champion du monde décolla parfaitement, pointant dans le top 3 après quelques virages. Ce dernier achèvera ce rendez-vous en troisième position, deux tours devant son équipier, victime de nombreux problèmes d’amortisseur sur cette piste très bosselée. A Kyalami, changement de voiture : Stewart découvre la 006 alors que Cevert hérite de l’ancienne 005. Mais en qualifications, le premier sortit violemment de la piste, détruisant sa monture. En hâte, l’écossais rejoint les stands et parvient à réaliser un temps avec, et aux dépens de la 005 de son équipier. Qualifié seizième, le vice-champion 1972 est voué à l’exploit pour remonter. Quant au français, il s’élancera bon dernier... Sa course ne sera guère meilleure, le pilote, étant confronté à une crevaison puis à des soucis de distribution, ne sera même pas classé. Sur la 006, en revanche, tout marche comme sur des roulettes. Évitant le carambolage impliquant le pauvre Regazzoni, l’écossais grimpa dans la hiérarchie, passant de la seizième à la première place en sept petits tours, sans pour autant respecter les règles de sécurité et les drapeaux jaunes. La Tyrrell floquée du numéro 3 vole sur la piste et au terme de l’épreuve, la voici victorieuse. Il n’en faut pas plus à Ken Tyrrell pour confirmer la venue de la seconde 006 au départ du grand-prix d’Espagne.

Sur le circuit de Montjuïc, ce sont bien deux 006 qui sont présentes. Celles-ci sont pourtant différentes par rapport à celle vue en début de saison. En effet, des changements, notamment pour des raisons de sécurité, étaient exigés à compter de la manche espagnole. Si les modifications majeures sont internes à la voiture, comme le réservoir d’essence plus souple, la bête bleue s’élargit, tout comme ses ailerons. Mais ce tracé ne convient pas aux Tyrrell. Souvent handicapés par des freins défaillants, les deux pilotes espèrent que ces derniers tiennent la distance. Pour la première fois de la saison, Cevert devance Stewart sur la grille de départ. Les positions s’échangèrent dès le départ mais les deux 006 restent roues dans roues. C’est alors qu’une crevaison perturba la belle course du français, obligé de repasser par les stands. L’espoir Tyrrell repose donc sur le double champion du monde, mais alors que la fin approche, les vieux démons ressurgissent : sans freins, le voici obligé d’abandonner alors qu’il était deuxième. Il ne sera pas le seul ce qui profita à Cevert, loin dans le classement après sa péripétie de début de course. Avec les ennuis des autres, le français grimpa en deuxième place, à des années lumières du vainqueur et leader du championnat Fittipaldi. A Zolder, sur une piste en piteux état, les hommes de Ken Tyrrell espèrent redresser la barre et contrer les Lotus qui s’affichent comme les grandes favorites de la saison 1973. Qualifiées en deuxième et troisième lignes, les 006 ne sont pas totalement à l’aise avec leurs freins, véritables problèmes pour l’écurie anglaise. Pourtant, après deux boucles, Cevert pointe en tête et Stewart n’est pas loin du top 3. C’est alors que le français perdit le contrôle de sa monture, se retrouvant dans le mauvais sens. Reparti seulement huitième, ses chances de victoires étaient anéanties. Mais dans le même temps, son équipier écossais augmenta la cadence et dépassa Fittipaldi pour la tête de l’épreuve. Les monoplaces bleues sont les plus rapides en piste et au terme de la course, elles ne sont séparées que de trente secondes, Cevert parvenant à remonter jusqu’en deuxième place. A Monaco, sur un tracé en partie redessiné, l’écossais s’octroie la pole position, la première de la 006. Il devance de trois rangs son équipier français. C’est pourtant ce dernier qui vira en tête au premier virage mais pris dans sa fougue, il heurta un trottoir dès le deuxième tour. Avec un pneumatique crevé, il n’a plus qu’à regagner les stands. Devant, l’autre 006 profite de l’erreur de Regazzoni puis des soucis de Peterson pour s’emparer du commandement. Comme en Belgique, Stewart gagne alors que derrière, l’autre Tyrrell parvient à remonter tant bien que mal jusqu’au quatrième rang. Jamais les machines de Ken Tyrrell n’auront semblées aussi performantes et rapides. L’avantage est pris au championnat constructeur mais pour les pilotes, ce diable de Fittipaldi mène toujours la danse, enfin, plus pour très longtemps. Pour le premier grand-prix de Suède, à Anderstorp, la foule est venue nombreuse pour soutenir leur pilote fétiche Ronnie Peterson. Ce dernier réalise la pole position, à peine un dixième plus vite que Cevert deuxième alors que Stewart est juste derrière, en troisième position. Le suédois est inatteignable durant une bonne partie de la course mais les deux 006 restent à l’affût. C’est dans les dernières boucles que tout s’accélère. Hulme, alors cinquième, remonte comme une flèche vers la première place dans le dernier quart d’épreuve. Dans le même temps, alors qu’il chassait le leadership, le double champion écossais est contraint de ralentir, freins surchauffés. Si les Tyrrell restent dans le top 6, de gros points sont perdus.

En France, tout le monde attend François Cevert. Le jeune français s’est montré très performant dans sa 006, et surtout, il semble très proche des performances de son expérimenté équipier Stewart. C’est pourtant l’écossais qui se montre le plus rapide dans l’exercice du tour chronométré, à nouveau trois places devant l’autre Tyrrell. Mais le jour de la course, les pneumatiques Goodyear font encore une fois défaut à l’écurie anglaise. Touché par une crevaison lente, l’écossais n’a pas d’autres choix que de changer sa roue. Cevert, moins présent dans les premiers tours, profite de l’accrochage Scheckter-Fittipladi pour retrouver le chemin du podium, deuxième. Derrière lui, Reutemann résiste jusque dans les derniers instants face à un Stewart plus véloce que jamais. Pour la première fois de la saison, c’est le double champion du monde qui grimpe en haut du classement des pilotes. Sur le très rapide circuit de Silverstone, le choc des titans est attendu. Après un gros carambolage lors du premier départ, la course est relancée. L’écossais mène la vie dure à Peterson, mais en voulant le dépasser par l’extérieur dans le virage de Stowe, la 006 partit en vrille, terminant son chemin hors piste. Le temps de reprendre le droit chemin, toute la meute était passée. Fort heureusement, son grand rival au championnat, Fittipaldi, renonça. Seulement cinquième, Cevert sauve deux petits points, maigre consolation pour les hommes de Ken Tyrrell. Le retour aux affaires ne tarda pas et l’écurie anglaise se rappela au bon souvenir de tous, dominant comme jamais cette année-là. A Zandvoort, Stewart ne fait qu’une bouchée d’un Peterson à nouveau trahi par sa Lotus, dans un grand-prix marqué par la mort tragique de Williamson. En inscrivant un vingt-sixième succès en Formule 1, l’écossais bat le précédent record, jusque-là détenu par Jim Clark. Derrière lui, Cevert assure un nouveau doublé. Sur le Nürburgring, l’histoire est similaire. Les ennuis du pilote Lotus offrent une voie royale aux deux Tyrrell qui caracolent en tête jusqu’à l’arrivée. L’ordre est le même qu’aux Pays-Bas mais avec une seconde d’écart entre ses deux pilotes, Ken Tyrrell sait qu’un second titre lui tend alors les bras. Mais à quatre courses du but, rien n’est acquis.

Sur l’Österreichring, les Tyrrell sont à la peine. La vitesse de pointe n’est pas une qualité de la machine bleu et le rapide tracé autrichien en fait la nette démonstration. Mais comme toujours, Stewart, pilote très fiable et prudent, prend soin de sa mécanique et lorsque ses adversaires sont contraints à l’abandon, il saisit les opportunités présentes pour ajouter de gros points à son compteur. En passant de septième à deuxième, l’écossais réalise l’opération parfaite puisqu’avec vingt-et-un points d’avance sur son équipier, sa troisième couronne mondiale lui tend les bras. Ce sera chose faite à Monza avec la quatrième place finale, un rang devant Cevert. Stewart devient donc, avec Fangio et Brabham, l’un des plus grands de ce sport et pourtant, l’envie n’est plus vraiment présente. La retraite n’est plus qu’une simple rumeur et sera belle et bien effective en cette fin d’année 1973. Désormais, Ken Tyrrell compte sur la jeune et grande relève Cevert pour faire prospérer son écurie. Mais en Italie, ce sont les Lotus qui s’imposèrent, réduisant grandement leur retard sur les machines bleues au championnat. Le dernier titre en jeu est donc loin d’être gagné. Et c’est outre-Atlantique que se tiendra la conclusion de ce championnat très serré. Au Canada, les pilotes officiels sont rejoints par Amon, pilotant, lui, une ancienne 005. Lors de la course, Cevert, englué dans le trafic, tenta un dépassement sur Scheckter : c’est l'accrochage. La 006 est pulvérisée, occasionnant quelques blessures aux chevilles du français, ce qui ne l'empêcha pas de montrer son mécontentement au sud-africain. Cet incident provoqua la sortie, pour la première fois de l’histoire, d’une voiture de sécurité afin de ralentir la meute. Malheureusement, le classement fut totalement chamboulé après de nombreuses incompréhensions des officiels. En terminant cinquième, Stewart n’offre que deux pauvres points à son écurie, désormais dépassée par Lotus pour une petite unité. La finale à Watkins Glen sera donc décisive. La bataille tant attendue n’arriva jamais. Lors des essais, un tragique évènement toucha le petit monde de la Formule 1. François Cevert s’élança en piste pour parfaire les réglages de sa monture; il n’en reviendra jamais. Dans un effroyable accident, le français venait de perdre la vie. Il avait vingt-neuf ans. Meurtri par la nouvelle du décès de son équipier, Stewart décida de ne pas prendre part à la course, à son centième grand-prix. Si le sacre échappe à Tyrrell, c’est surtout la mort de celui que beaucoup voyait comme un futur grand champion qui marqua les esprits. Une fin d’année à oublier.

Pour 1974, ce n’est donc pas un mais deux pilotes qui sont à trouver pour Ken Tyrrell. Son choix s’orienta sur deux jeunes pépites du sport : Jody Scheckter et Patrick Depailler. Une nouvelle voiture devrait voir le jour au courant de la saison mais pour l’instant, les pilotes doivent se contenter, l’un de la 006, l’autre de l’ancienne 005. A Buenos Aires, le français, sur la plus vieille des deux montures, parvient à arracher le point de la sixième place, son équipier renonçant sur problème moteur. Même sentence au Brésil où le sud-africain patauge en fond de peloton, loin derrière Depailler et la 005. La 006 semble désormais vouée au musée et ses dernières apparitions en meeting ne seront pas les plus glorieuses. Ainsi, Scheckter reprit son volant chez lui, à Kyalami, ne pouvant mieux faire qu’une huitième place. L’arrivée de la 007 ne se fait pas attendre et pourtant, à trois reprises, Depailler fait le choix de l’utiliser. Malheureusement pour lui, sa monture est largement dépassée. Les points ne sont plus atteignables et le doublé récemment réalisé en Suède à bord des nouvelles 007 ne fait que confirmer l’abandon de cette ancienne championne.

Au final, la Tyrrell 006 aura permis à ses pilotes de remporter cinq victoires, trois poles position et deux meilleurs tours en course. C’est aussi, et surtout, la dernière Tyrrell à se battre pour le championnat. Malgré quelques coups d’éclat en 1974, 1976 ou 1978, les voitures bleues ne seront plus jamais à la fête. Le déclin se prolongea jusqu’au début des années 90, là où les Tyrrells ne connaîtront que les fonds de classement. En 1998, l’écurie dispute sa dernière saison, sans marquer un seul point.

La Tyrrell 006 en chiffres...

Grands-prix :

23

Victoires :

5

Podiums :

15

Poles Position :

3

Meilleurs Tours :

2

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