Lancia / Ferrari D50
Voler le travail des autres est mal. Le reprendre pour l’emmener aux sommets est mieux. Voici l’histoire de la Ferrari D50.
Ou plutôt la Lancia D50. Car avant de devenir une véritable machine de la Scuderia, la D50 fut une monoplace conçue par Lancia et engagée par ce même constructeur dans le championnat du monde de Formule 1. Sa création en 1954, se fait grâce au changement de réglementation au niveau des moteurs, notamment au niveau de la cylindrée, passant du 2 litres des F2 au 2,5 litres. Cette augmentation de la cylindrée attire plusieurs constructeurs, à commencer par Mercedes et Lancia. La firme italienne, déjà bien présente en sport automobile grâce à sa splendide D24, décide de franchir le pas et de s’engager dans la nouvelle catégorie reine. Les voitures actuelles sont lourdes et imposantes mais de plus en plus, l'ingénierie modifie l’allure et la vitesse des bolides. La D50 n’échappe pas à cette mode. Si la Mercedes W196s est reconnaissable entre mille à cause de sa carrosserie enveloppante, la Lancia l’est tout autant. En effet, contrairement aux autres monoplaces, l’italienne ne contient pas son essence et son huile directement dans le châssis à proprement parler. A la place, deux réservoirs sont placés entre les roues avant et arrière, chacun connecté au reste de la voiture par des supports métalliques. En plus d'apporter un appui aérodynamique supplémentaire, ces carénages permettent d’abaisser le centre de gravité, d’où de meilleures performances. L’autre belle invention, c’est le positionnement de son moteur. En effet, le V8 de 250 chevaux n’est pas dans l’axe de la voiture mais est incliné à douze degrés. La raison de cet angle est purement technique. Avec un tel angle, l’arbre de transmission ne passe pas sous le pilote mais à côté pour rejoindre la boite de vitesses située à l’arrière. De ce fait, le pilote peut-être placé plus bas, donc avec un meilleur centre de gravité. L’autre trouvaille de Lancia, ce sont les points d’ancrage des suspensions directement imbriqués sur le moteur, une solution inédite qui sera reprise par Ford-Cosworth treize ans plus tard avant de devenir une norme pour bon nombre de voitures.
La saison 1954 s’annonce palpitante car avec quatre grands constructeurs représentés et autant de solutions techniques apportées, nul ne sait qui pourra l’emporter. Chez Lancia, on compte beaucoup sur la nouvelle D50 et sa maniabilité exceptionnelle. Pour mener ce projet d’envergure, le team italien obtient les services d’Ascari et de Villoresi, deux des meilleurs pilotes de l’époque. Les essais privés sont concluants même si la voiture semble souffrir d’une fiabilité plus que précaire. Le développement est long et plus les courses passent et plus les chances de voir l’italienne débuter en grand-prix s’amenuisent. Alors que la saison 1954 touche à sa fin, la Lancia D50 apparaît enfin, pour la dernière de l’année. Sur le tracé urbain de Pedralbes, en Espagne, grosse surprise : Ascari s’offre la pole position avec plus d’une seconde d’avance sur le champion Fangio, quatre places devant Villoresi. L’italienne impressionne et dès le troisième tour, le poleman signe le meilleur tour en course mais déjà, l’autre machine est arrêtée pour problème de freins. Le champion 1952 et 1953 résiste en tête mais à la dixième boucle, son embrayage explose. La démonstration aura été belle mais le résultat n’y est pas. Fort heureusement, le programme Lancia est reconduit pour 1955 mais avant même le début des hostilités, les fonds commencent à manquer. La saison s’ouvre en Argentine, sur les terres du grand Fangio. Ascari ne passe pas loin de la pole de l’autre héros local Gonzalez, avant de mener quelques boucles mais comme en Espagne, il ne verra pas le drapeau à damier, ni lui, ni ses équipiers. Avant de courir à Monaco, les D50 sont engagées hors championnat et pour les deux manches transalpines, c’est la Lancia qui s’impose aux mains du double champion italien. Dans les rues de Monte-Carlo, il réalise, au dixième près, le même temps que le champion argentin mais ne s’élance que deuxième. Sa course est sage et sans accroc, jusqu’à la casse moteur de Moss, alors leader devant lui. Cet abandon aurait dû lui être bénéfique mais à la place, la D50 glissa sur l’huile répandue par la Mercedes avant de percuter les barrières et de plonger dans le port de Monaco ! L’image est saisissante mais fort heureusement, le pilote est éjecté et sorti par des plongeurs. L’honneur de Lancia sera sauvé par Castellotti, deuxième sous le drapeau à damier, pour ce qui restera le seul et unique podium de la marque de Turin. Car quelques jours après le grand-prix, Ascari, à peine remis de sa folle cabriole, teste une Ferrari à Monza mais en perdant le contrôle de sa machine, l’italien se tue. L’écurie italienne venait de perdre son chef d'orchestre. Pire encore, Villoresi, proche du défunt, décide de stopper sa saison, trop touché pour continuer. La tragédie du Mans quelques jours plus tard ne fera qu’appuyer son choix d’avenir. Ce n’est donc qu’une seule machine qui s’aligne en Belgique entre les mains de Castellotti qui réalise d’ailleurs une sensationnelle pole position. Des ennuis de boîte de vitesses finiront par achever sa belle prestation du jour. Les casses à répétition n’arrangent pas Lancia qui décide de stopper net son aventure Formule 1.
Pedralbes (1954)
Monaco (1955)
Spa-Francorchamps (1955)
Pedralbes (1954)
La crise est telle que la marque change de mains. La partie compétition est également touchée avec l’emprise de FIAT sur tout le département. Les D50 sont sauvées mais ne courront plus sous le nom de Lancia car au même moment, un certain Enzo Ferrari acquiert les fameux bolides rouges. Elles seront deux à Monza pour le grand-prix d’Italie, celle de Farina et celle de Villoresi. Les deux hommes se qualifient parmi le top dix mais sur un circuit comportant un interminable anneau de vitesse jonché de bosses, les nouveaux pneumatiques Englebert, en lieu et place des Pirelli montés jusque-là, ne font clairement pas l’affaire et représentent plus un danger qu’autre chose. Les deux voitures, toujours affublées du logo Lancia, sont finalement retirées avant même le départ. C’était la dernière apparition du constructeur turinois en catégorie reine, mais pas de la D50. Désormais entre les mains du Commendatore, les monoplaces italiennes évoluent grâce à davantage de ressources ainsi qu’un partenariat avec FIAT. Les réservoirs, alors logés dans les compartiments extérieurs, retrouvent l’arrière de la voiture. Pour autant, les carénages ne sont pas retirés, leur bénéfice aérodynamique étant suffisamment bon. Le moteur V8 évolue lui aussi pour développer, à présent, 265 chevaux. Si le peloton 1955 était assez étoffé, celui de 1956 est plus italien que jamais, la Scuderia Ferrari et Maserati représentant la quasi-totalité des concurrents. Sans Mercedes, les deux cadors de l’année écoulée doivent s’en remettre aux italiens. Si Moss fait le choix de la marque au trident, Fangio rejoint le cheval cabré pour espérer conquérir une quatrième couronne mondiale. Et c’est chez lui que s’ouvre cette nouvelle saison. Trois D50 sont au départ pour Fangio, Castellotti et Musso. Les trois monopoliseront la première ligne de la grille La course sera plus éprouvante pour les monoplaces rouges. Rapidement arrêté, l’argentin récupère la voiture de son équipier Musso pour effectuer une incroyable remontée jusqu’en tête et ainsi offrir à la D50 son premier succès en catégorie reine, partagé avec Musso évidemment. L’autre machine ne connaîtra pas le même sort, une énième casse de la boîte de vitesses l’obligea à s’arrêter en bord de piste. A Monaco, un nouveau châssis est proposé à Collins, portant l’effectif des D50 à quatre. Le triple champion argentin s’installe facilement en pole, suivit de ses compères au troisième, huitième et neuvième rang. La course du poleman prit un nouveau tournant dès la troisième boucle à cause d’un tête-à-queue, endommageant sa monture. Celles de Musso et de Castellotti n’iront pas plus loin mais ce dernier aura la possibilité de reprendre du service après que Fangio est délaissé la sienne pour reprendre celle de Collins. Ce jeu de chaises musicales, loin d’être simple à suivre, à pour but d’empêcher Moss et sa Maserati de s’imposer et pour ce faire, quoi de mieux que d’envoyer le meilleur pilote du monde à ses trousses. Cette fois-ci, l’anglais sera meilleur mais avec son rythme de folie, l'argentin accroche finalement la deuxième place, partagée avec Collins, alors que Castellotti termine deux rangs plus bas dans le classement. Si seulement deux courses se sont tenues jusqu’ici, c’est l’étonnant Jean Behra qui pointe en tête du championnat, talonné de près par Fangio et Moss. De quoi augurer une belle suite pour cette nouvelle campagne.
Après avoir fait l’impasse sur les 500 Miles d’Indianapolis, les pilotes se lancent à l’assaut du monument Spa-Francorchamps. Cinq D50 sont engagées en Belgique, le nouveau châssis étant laissé entre les mains de Pilette. A noter également l’absence de Musso, blessé lors d’une course sur le Nürburgring une semaine auparavant, remplacé par le journaliste Paul Frère. La puissance du V8 italien parle toujours et sans surprise, c’est Fangio qui s’empare de la pole alors que les autres Ferrari s’engluent dans le peloton. L’argentin espère enfin décrocher une véritable victoire mais ses espoirs seront douchés au vingt-troisième tour, transmission HS. Castellotti subira la même punition mais heureusement, les trois D50 restantes marchent du tonnerre. Après l’abandon du double champion du monde, Collins récupère le leadership alors que Frère prend l’ascendant sur Behra pour sécuriser la deuxième place. C’est donc sur un doublé que se conclue cette étape belge, un résultat plus que décevant pour Fangio, décidément maudit sur sa Ferrari. Cela ne l’empêcha pas de s’adjuger la pole position sur le tracé de Reims, là où De Portago étrenne un nouveau package aérodynamique, quelque peu copié sur les Mercedes W196 carénées. En effet, la monoplace rouge est équipée d’un surplus de carrosserie à l’avant englobant une partie du train avant. Si le but recherché est de gagner en vitesse, ce changement sera tout de suite abandonné, la prise au vent étant finalement beaucoup trop importantes. Sur les longues lignes droites bordées d’arbres et de champs, les Ferrari sont une fois encore très rapides mais comme de coutume, c’est Fangio qui se retrouve en premier en difficulté. Obligé de s’arrêter aux stands, il laisse ses équipiers Collins et Castellotti se disputer la victoire avant de regagner la piste et de tenir le quatrième rang final. Gendebien et le marquis de Portago ne verront quant-à-eux pas l’arrivée. A Silverstone, c’est Moss qui, devant son public, réalise le meilleur temps des qualifications. Ce sera d’ailleurs la seule fois que la D50 sera défaite de ce titre en 1956, si l’on excepte les 500 Miles. Les BRM prennent un meilleur envol mais rapidement, ce sont les Maserati qui reprennent les devants, talonnées par les Ferrari. Si Castellotti vit un grand-prix cauchemardesque, ce n’est rien à côté du leader du championnat Collins, contraint de mettre pied à terre sur chute de pression d’huile. Il reprendra tout de même le volant en récupérant la monoplace de De Portago mais en attendant, Fangio est passé. L’argentin est si rapide qu’il ne lui faut que peu de temps pour passer son éternel rival anglais et ainsi récupérer le commandement de l’épreuve. La mécanique ne s’enraye pas et pour la première fois de l’année, l’argentin s’impose sans problèmes. Revenu de nul part, Collins valide la deuxième place, partagée avec le Marquis de Portago. L’écart en tête du championnat n’est que d’un petit point entre Fangio et Collins.
Buenos Aires (1956)
Monaco (1956)
Spa-Francorchamps (1956)
Buenos Aires (1956)
A deux courses du terme de cette folle campagne, nul ne sait qui l’emportera et si les pilotes Ferrari sont favoris, le français Behra n’est pas à exclure, lui qui pour l’instant, enchaine les podiums et les bonnes performances. La course allemande sur le Nürburgring pourrait donc déjà sceller le championnat. Après d’intenses qualifications, c’est encore Juan-Manuel Fangio qui se montre le plus rapide, deux dixièmes seulement devant Collins après les vingt-deux kilomètres de piste. Castellotti complète le top 3 alors que Musso, tout juste rétabli, réalise le cinquième temps. Le Marquis de Portago est moins à l’aise et ne s’élance que dixième. Dès le départ, l’argentin et l’anglais se disputent la tête de la course mais au cinquième tour, les ennuis commencent. C’est d’abord Castellotti qui doit stopper sa course, reprenant par la suite le volant de la machine de Musso. Trois tours plus tard, c’est Collins qui s’arrête, piquant à son tour la voiture de De Portago. Comme si cela n’était pas suffisant, les deux monoplaces rouges finissent accidentées. Les seules chances de victoires reposent donc sur les épaules de Fangio, seul rescapé du clan italien. Ce jour-là, le double champion effectua l’une de ses plus belles prestations, dominant de bout en bout qui plus est, avec le meilleur tour en course, battant de ce fait, les chronos réalisés avant guerre ! Avec neuf points de plus dans son escarcelle, son couronnement à Monza ne devrait être qu’une formalité, si la mécanique tient bien entendu. Sur le circuit italien et son fameux anneau de vitesse, l’argentin devance tout le monde sur un tour. Les D50 privatisent même la première ligne, Castellotti assurant la deuxième place, juste devant Musso. Collins n’est que septième, deux rangs devant De Portago. Une sixième D50 aurait dû être présente au départ mais suite à un accident prématuré, Von Trips ne pourra partir pour son premier grand-prix. Le temps est maussade pour cette grande finale mais les enjeux sont importants. Auteur d’un bon envol, Moss domine l’épreuve alors que derrière, deux crevaisons poussent deux des cinq Ferrari au tapis. Mais au trentième tour, grosse alerte. Avec une biellette de direction cassée, Fangio doit renoncer. La couronne qui lui tendait les bras vire peu à peu entre les mains de Collins qui remonte inlassablement sur les leaders de la course. C’est alors que l’impensable se produisit. En rentrant aux stands pour effectuer son changement de roues, l’anglais saute de sa monoplace pour laisser le volant à Fangio. Le geste est encore plus fort que Collins était à deux doigts de remporter le titre ! L’argentin retrouve le circuit en troisième position, derrière Musso, lequel renoncera à trois tours du but alors qu’il menait. Fangio termine alors derrière Moss, une place suffisante pour lui offrir une quatrième étoile mondiale. La Ferrari D50 aura été la reine de cette saison 1956 et bien que souvent touchée par des pépins mécaniques, elle sera toujours restée plus véloce que la Maserati rivale.
La campagne 1956 achevée, celle de 1957 peut débuter. De gros changements sont cependant apportés sur les monoplaces mais aussi au sein de la Scuderia. Las des trop nombreux ennuis mécaniques, Fangio rejoint l’écurie rivale Maserati. Sur les D50, les fameux carénages latéraux disparaissent tout bonnement alors que le moteur gagne dix chevaux supplémentaires. Comme souvent, le championnat s’ouvre en Argentine. Ferrari a particulièrement à cœur de s’imposer chez Fangio pour lui faire regretter son départ. Ainsi, ce ne sont pas moins de six D50 qui sont au départ ! On y retrouve les pilotes de l’année passée Collins, Musso ou Castellotti, le vétéran argentin Gonzalez, Hawthorn et Perdisa. Malgré cet armada, aucune voiture de Maranello ne figure parmi les trois premiers sur la grille ! Le grand-prix sera encore plus décevant pour les hommes d’Enzo Ferrari. Si les premiers tours voient le retour en tête de Castellotti, les ennuis ne tardent pas à réapparaître. En l’espace de neuf boucles, trois D50 renconcent. Les volants s’échangent mais rien n’y fait, les italiennes sont dépassées. A noter la course en équipe des deux autres montures, celle de Gonzalez étant partagée avec De Portago, la deuxième entre Perdisa, Collins et Von Trips. Les deux équipages termineront loin des leaders, seulement cinquième et sixième, à deux tours du vainqueur et champion en titre Fangio. En coulisses, la D50 est retravaillée et un nouveau modèle doit sortir dès Monaco. Ainsi naquit la D50/801, couramment appelée 801. Mais avant d’aborder le week-end princier, c’est le drame. Comme Ascari un an plus tôt, Castellotti se tue en voiture de sport. Pour ne rien arranger, la Scuderia perd aussi De Portago lors des Mille Miglia, un accident qui coûtera d’ailleurs la vie à neuf spectateurs et qui fera disparaître à jamais la grande classique italienne. La manche monégasque se trouve donc amputée de deux pilotes. Mike Hawthorn sera le dernier à concourir à bord de la D50, déjà remplacée par la 801. Sa course ne durera que peu de temps. Pris dans le carambolage du quatrième tour avec Collins et Moss, l’anglais abandonna sa monture le long du port, une bien triste fin pour une monoplace pourtant si rapide.
Reims (1956)
Nürburgring (1956)
Monza (1956)
Reims (1956)
Après cinq victoires, sept poles position, onze podiums et cinq meilleurs tours, la Lancia / Ferrari D50 quitte le cirque de la Formule 1. Après des débuts laborieux sous les couleurs de la firme de Turin, la monoplace italienne prit un important virage en 1956 en passant sous la bannière Ferrari. Certes, l’arrêt du programme Mercedes et le peu de concurrence en cette saison 1956 offrait de nombreuses opportunités aux pilotes de la firme de Maranello, des opportunités presque toutes prises, à l’exception des grands-prix de Monaco et de Monza. La D50 n’a pas une histoire comme les autres et son style unique en fait une monoplace devenue légende.
La Lancia / Ferrari D50 en chiffres...
Grands-prix :
14
Victoires :
5
Podiums :
11
Poles Position :
7
Meilleurs Tours :
5