Ferrari 312 T
A la suite d’une dizaine d’années sans couronnes pour la Scuderia, l’écurie italienne sait que le succès n’est plus très loin, surtout après y être passé tout près en 1974.
1975. Onze ans depuis le dernier titre de Ferrari avec Surtees et la 158. Depuis ce temps, les anglais et français ont démontré leur supériorité et malgré des monoplaces toujours plus évoluées les unes que les autres, la Scuderia continue de perdre du terrain. La lignée des 312, débutée en 1966, doit connaître un nouveau souffle pour espérer contrer les Lotus, Brabham, McLaren et autres Tyrrell. Après l’échec des 312B, 312B2, 312B3, la 312B3-74 semblait enfin viser le droit chemin. Malheureusement, des erreurs de pilotage et des problèmes mécaniques au plus mauvais moment finiront par plomber une année 1974 pourtant rondement menée. Le nouvel équipage, Regazzoni et Lauda, avait pratiquement tout pour l’emporter mais au bout du compte, c’est McLaren et Fittipaldi qui récoltent les lauriers. Pour cette nouvelle campagne, pas question de recommencer. L’ancienne monoplace dispose d’une base plutôt solide, alors pourquoi ne pas la faire évoluer ? Si la 312T est considérée comme étant une 312B3-74 améliorée, les similitudes entre les deux machines sont minimes, si l’on excepte le moteur 12 cylindres à plat de 3 Litres de cylindrée et ses 495 cv. Le châssis tubulaire, toujours constitué d’acier et de panneaux en aluminium, est plus court que le précédent, réduisant la longueur totale de plus de 20 centimètres. Mais ce qui participe le plus à cette réduction de taille, c’est la trouvaille de l’ingénieur maison Mauro Forghieri : la boîte de vitesses transversale, d’où le “T” de 312 T. En plus de gagner en place, cette disposition permet d’améliorer le centrage des masses, et donc la répartition totale du poids. Pour pallier à ce manque derrière l’essieu arrière, un imposant aileron est installé, apportant l’appui aérodynamique nécessaire pour délivrer le maximum d’appui, le tout, en collaboration avec la nouvelle aile avant, largement inspirée du modèle de 1974. Les suspensions sont également toutes nouvelles pour un équilibre et une maniabilité presque parfaite. Du côté de la carrosserie, de belles courbes se dessinent, offrant de longs pontons ouverts sur l’intérieur, une impressionnante cheminée derrière la tête du pilote et une enveloppe autour du cockpit très épurée. Pour parfaire le tout, la Scuderia déroge à ses habitudes en ajoutant une grosse touche de blanc sur le capot moteur, également orné du drapeau italien, comme un retour aux années 312B. Ne reste plus qu’à démontrer le plein potentiel de cette nouvelle machine qui, sur le papier, serait révolutionnaire…
Présentée aux journalistes fin 1974, la 312T n’est pas présente pour les premiers grands-prix de 1975. En effet, Forghieri a décidé de peaufiner son œuvre avec des longues séries d’essais sur la piste maison de Fiorano. Lauda, qui prend très à coeur le développement de la voiture, passe des heures à piloter et rapidement, son constat est unanime : enfin une Ferrari pour la gagne. Améliorant largement sa marque réalisée avec la 312B3-74, il sait tenir ici celle qui finira par redorer le blason de la Scuderia. Pour les manches argentines et brésiliennes, l’ancienne monoplace retrouve la piste mais très vite, les hommes de Ferrari se rendent compte du step effectué par les autres équipes durant l’intersaison. La 312B3-74, plutôt rapide en 1974, est presque larguée en Amérique du Sud. A Buenos Aires, Lauda n’est que quatrième sur la grille, trois rangs devant Regazzoni. La course sera de la même trempe, les machines rouges peinant à suivre les Brabham et McLaren, et même la petite Hesketh de Hunt. Le suisse remontera jusqu’au quatrième rang alors que son équipier se contente du point de la sixième place après avoir maintenu en vie un moteur récalcitrant. Les choses ne seront guère plus brillantes à Sao Paulo, sur la piste d’Interlagos. Quatrième et cinquième au départ, quatrième et cinquième à l’arrivée, il n’y a désormais plus rien à tirer de la 312B3. Si ces deux premiers grands-prix de l’année 1975 se sont limités à une casse mesurée, le retour sur le devant de la scène doit être impeccable dès Kyalami. Là-bas, en Afrique du Sud, les 312T sont l’attraction phare de l’épreuve. Mais dès les premiers tours de roues, c’est la douche froide. Les italiennes sont larguées en ligne droite et le 12 cylindres manque cruellement de puissance à haute altitude comparé aux V8. Malgré tout, Lauda sauve les meubles en se classant quatrième des qualifications, cinq places devant son équipier, relégué à seulement trois dixièmes de seconde. Au départ, l’autrichien patine et perd du terrain, redescendant au huitième rang alors que Regazzoni apparaît en sixième place. Avec une cavalerie moindre sous les capot des machines de la Scuderia, difficile de rivaliser face aux Tyrrell, Brabham et McLaren, toutes équipées du même moteur. Tout le long du grand-prix, les 312T roulent de concert. Ce n’est que dans l’avant-dernier tour que le classement évolue et pour cause, l’accélérateur du pilote suisse fait des caprices, le conduisant à un inévitable abandon tout près du but. Niki Lauda remonte en cinquième position, un résultat bien modeste pour une voiture censée dominer son monde. Si les performances sur un tracé plus conventionnel ne sont pas augmentées, Forghieri pourra s’en mordre les doigts. Avant d’attaquer la saison européenne, Ferrari participe à l’International Trophy, une course hors-championnat organisée à Silverstone. Seul le jeune autrichien est présent. Si la pole est manquée de peu face au fougueux James Hunt, le pilote de la Scuderia prendra la tête peu après la mi-course, profitant d’un bris mécanique sur la monoplace de son futur grand rival. Malgré les assauts incessants de Fittipaldi, Lauda garde la tête froide et s’impose pour un petit dixième. La machine rouge serait-elle enfin en marche ? Tout est encore à confirmer en Espagne. Sur le tracé urbain et décrié de Montjuïc, la sécurité pose réellement question. Les rails sont mal installés et les bosses sont omniprésentes, ce qui n’empêche pas les voitures de Maranello de briller aux yeux de tous. En effet, l’autrichien arrache la pole position devant Regazzoni, reléguant la concurrence à cinq dixièmes. Tout le paddock est impressionné par cette pointe de vitesse et cette maniabilité mais reste à confirmer en course, le jour de l’attribution des points. Hors, ce dimanche-là, la fête sera loin d’être belle. Au départ, Brambilla touche Andretti. L’américain, en perte de contrôle, vient écraser sa Parnelli dans la voiture du poleman, lui-même projeté sur l’autre 312T. Les deux italiennes tapent les rails à tour de rôle. Les dégâts sont trop colossaux pour repartir. Triste fin pour un week-end fort bien débuté. Hélas, le pire était encore à venir. Au vingt-sixième tour, l’aileron arrière de la Hill de Stommelen se détache. Sa monture part dans une folle embardée avant de décoller de l’autre côté des barrières. Quatre spectateurs seront tués sur le coup et un cinquième décédera plus tard à l’hôpital. La course finit par être neutralisée et le résultat entériné. Mass remporte sa première victoire dans l’anonymat le plus total, tout comme la sixième place de Lella Lombardi, première et unique femme à scorer en Formule 1 avec un demi-point à son compteur. Ce funeste grand-prix, qui condamnera d’ailleurs le circuit Barcelonais, aura démontré en partie le potentiel des nouvelles Ferrari. Ne reste plus qu’à concrétiser le dimanche.
Interlagos (1974)
Kyalami (1975)
Montjuic (1975)
Interlagos (1974)
Monaco. Premier juge de paix de cette campagne 1975. Entre les rails de la principauté, la maniabilité est légion. Les 312T sont particulièrement observées depuis leur belle prestation lors des qualifications espagnoles. Cette bonne entrée en matière se confirme avec la nouvelle pole position de Lauda, dominant les débats et les étonnantes Shadow, premières adversaires sur la grille. Moins en verve que son équipier, Regazzoni se hisse au sixième rang mais espère mieux en course. Ce jour-là, la pluie fait son apparition au-dessus du Rocher, rendant l’exercice encore plus périlleux. L’autrichien, toujours habile dans ces conditions, résiste parfaitement aux premiers assauts de Jarier puis de Peterson jusqu’à son arrêt aux stands pour chausser les gommes slicks. Avec le crash du français et l’interminable arrêt du suédois, le pilote Ferrari n’a plus qu’à dérouler jusqu’au drapeau à damier et ainsi empocher le premier “vrai” succès de la 312T, deux secondes devant un Fittipaldi remonté comme une balle dans les derniers kilomètres. Moins de chance pour le Tessinois, touché par Scheckter au premier tour avant de taper les rails à la Piscine à mi-course. Cette première victoire n’a rien de surprenant au vu des performances de cette nouvelle machine et ce n’est pas l’épreuve de Zolder qui démontrera le contraire. Comme à Monaco, Lauda prend la pole alors que Regazzoni tient la deuxième ligne. Si les deux voitures se retrouvent côte-à-côte au premier virage, l’ordre établit précédemment reprend sa position initiale. Dépassé dans un premier temps par Pace puis Brambilla, l’autrichien, qui pilote la n°11, reprend son dû avant de s’envoler, laissant sur place tous ses adversaires, y compris son équipier, obligé de repasser aux stands pour changer une roue après un freinage trop appuyé. Cette descente dans le classement l’oblige à attaquer jusqu’au bout et grâce aux problèmes touchant les voitures qui le précède, c’est la cinquième place qui attend le suisse, à plus d’une minute de l’autre Ferrari, encore triomphante. Cette deuxième victoire de rang propulse Lauda en tête du championnat du monde des pilotes pour deux petits points sur Fittipaldi mais la course au titre est encore longue et avec encore huit épreuves à disputer, nul ne peut savoir d’avance le résultat final. Pourtant, une certaine tendance semble se dessiner, notamment avec la nouvelle performance de l’autrichien en terre suédoise. Sur un circuit réputé très glissant et demandant une maniabilité hors-pair, le leader du championnat déroule comme il l’avait fait à Monaco puis en Belgique. Pourtant, le grand-prix fut loin d’être aisé sur ce tracé atypique qui ne correspond absolument pas à la 312T. Parti cinquième, celui que l’on surnommera “L’Ordinateur” joue un véritable jeu de patience. Dépassé par la Brabham de Pace à l’envol, il attendra la sortie de route de ce dernier, les problèmes de Brambilla, de Depailler et de Jarier, ainsi que l’usure prématurée des gommes de Reutemann pour prendre la tête à quelques tours du but, sans forcer. Si à la régulière tout succès était impossible, son intelligence de course renverse la tendance. L’autre Ferrari n’est pas en reste, Regazzoni accrochant son premier podium de l’année après une course très sage pour lui aussi. Trois victoires consécutives, un leadership retrouvé dans les deux championnats, que pourrait-il arriver de pire aux hommes de la Scuderia. L’excès d’optimisme peut-être ? A Zandvoort, la belle rouge et blanche arrache encore le meilleur temps de la séance de qualifications ou plutôt les meilleurs temps puisque ce sont bien les deux italiennes qui se partagent la première ligne, l’autrichien devant le suisse. Après la démonstration de 1974, les Ferrari font figures de favorite mais c’était sans compter sur un élément perturbateur : la pluie. De violentes averses s’abattent sur la côte de la mer du Nord, repoussant l’heure originelle du départ. Les bolides s’élancent une fois la pluie disparue mais les nuages commencent déjà à se disperser. En l’espace de quelques boucles, la piste s’assèche. Mass et Hunt sont les premiers à chausser les gommes slicks et si tout se passe mal pour l’allemand, l’anglais réalise la meilleure opération possible. Les 312T arrivent aux stands cinq tours après le pilote Hesketh si bien que lorsqu’ils reprennent le chemin du circuit, Hunt a déjà quinze secondes d’avance. Après avoir effacé l’obstacle Jarier, Lauda remonte rapidement sur le leader et son attaque semble imminente et pourtant, contre toute-attente, il n’en sera rien. Le pilote de la n°11 préfère assurer, se contentant seulement de mettre la pression sur la Hesketh. Sans broncher, Hunt remporte son premier grand-prix de Formule 1, une seconde devant Lauda. Cette stratégie, vivement critiquée par la presse par son manque de panache, reste positive sur le plan comptable. Du côté de Regazzoni, son changement de pneumatiques un tour plus tard, couplé à un mauvais envol, le font se retrouver troisième à l’arrivée, à presque une minute des deux hommes de tête. Les championnats pilote et constructeur ne semblent pas pouvoir échapper aux clans Lauda et Ferrari, une très bonne chose pour di Montezemolo, pourtant percuté par Peterson dans les stands de cette même course de Zandvoort…
La saison 1975 a déjà basculé dans sa seconde moitié et après les performances quasi parfaites de Lauda et de sa Ferrari, difficile d’imaginer qui pourra les battre. La boîte de vitesses transversale est une pépite d'ingénierie qui continue de faire des miracles course après course. Si l’autrichien domine, son équipier suisse est moins en forme. En plus d’être malchanceux, le Tessinois se rend bien vite compte que la voiture est largement développée autour du jeune viennois, expert en la matière. Le rendez-vous français ne marque pas de changements dans la lancée idyllique des rouges. Pole position de Lauda, tous les tours menés par Lauda, victoire de Lauda. Tout aura été simple pour celui qui mène allègrement ce championnat 1975. Il se permet même de ralentir le rythme en fin d’épreuve pour laisser revenir Hunt et Mass dans ses échappements, signe d’une gestion de course précise et d’une prise de risque mesurée. Mais de l’autre côté du garage, les résultats ne sont pas là. Qualifié à une lointaine neuvième place, Regazzoni tente le tout pour le tout pour remonter et cela paye. En l’espace de six boucles, le voici derrière l’autre 312T mais la joie est de courte durée. Quelques secondes plus tard, le 12 cylindres à plat explose dans un panache de fumée. Cet abandon contraste une fois de plus la différence de rythme entre les deux hommes, pourtant tous deux plein de talent. A Silverstone, le talent ne fait pas tout. Battues sur un tour, les Ferrari ne s’avouent pas vaincues. Lors des premiers tours, une formidable lutte oppose les deux machines italiennes avec Pace et Pryce. Les pilotes se dépassent encore et encore mais peu à peu, le ciel s’assombrit. Une violente averse s’abat sur la moitié du circuit, piégeant Regazzoni, alors en tête. En tapant les barrières par l’arrière, le suisse détruit son aileron. Plus d’un tour sera perdu le temps du remplacement. Si Lauda se montre plus sage, un écrou de roue mal serré l’oblige à repasser aux stands une seconde fois. Les gommes rainurées sont le meilleur choix sous ces conditions mais comme à Zandvoort, le vent balaie l’asphalte qui s’assèche rapidement. Un nouvel arrêt plus tard, voici l’autrichien en treizième place, quinzième pour le suisse. Trop loins pour jouer quoi que ce soit, les deux pilotes de la Scuderia se contentent de rallier l’arrivée. Mais au cinquante-quatrième tour, un gros orage éclate au-dessus du circuit, noyant Silverstone sous un déluge apocalyptique. La visibilité est nulle et même à faible allure, impossible de faire tenir ces monstres de puissance sur le bitume glissant. Les sorties de piste s'enchaînent à vitesse grand V, provoquant une incroyable confusion. Au total, ce sont douze voitures qui sortent de piste quasi simultanément, une hécatombe ! Les deux Ferrari sont encore sur leurs quatre roues lorsque le drapeau rouge est brandi, synonyme d’arrêt définitif de la course. Malgré cela, le classement établi est celui du tour précédent. Lauda est classé huitième à deux tours du vainqueur Fittipaldi, Regazzoni treizième. Alors que la manche canadienne est annulée sur fond de conflit entre la FOCA et les organisateurs, la Formule 1 retrouve l’Allemagne et le terrifiant Nürburgring. Si le tracé germanique semble vivre ses dernières heures dans la catégorie reine, il reste un terrain de jeu idéal pour les Ferrari et pour les pilotes les plus téméraires. Le jour des qualifications, Lauda réalise une véritable prouesse en réalisant le tour du circuit en moins de sept minutes, un record inégalé. Le jour de la course, presque 300 000 personnes se sont massées le long de l’Enfer Vert de l'Eifel et ses presque 23 kilomètres. Comme attendu, les italiennes sont en forme et même si Depailler, Scheckter ou Reutemann cherchent à s’immiscer aux avant-postes, les 312T sont aux premier et deuxième rang au neuvième des treize tours de course. Hélas, la malchance finit par s’abattre sur la Scuderia. C’est d’abord Regazzoni, pourtant auteur du meilleur tour en course jamais réalisé sur cette piste, qui en fera les frais en premiers avec une nouvelle casse de son moteur. Puis, quelques kilomètres plus loin, c’est au tour de Lauda d’être ralenti par une crevaison, la faute à de petits cailloux disséminés partout sur le bitume. Le temps de revenir aux stands et de chausser de nouvelles gommes, la première place s’en est allé. Reparti le couteau entre les dents, il ne parviendra qu’à subtiliser la troisième position à Pryce, en grosse difficulté sur sa Shadow. Devant lui, “Lole” s'impose alors que Jacques Laffite accroche son premier podium, tout comme Williams, avec la deuxième marche du podium. Il ne reste que trois épreuves et le titre des pilotes est bientôt scellé. Celui des constructeurs est cependant loin d’être gagné puisqu’à seulement trois unités, la petite Brabham pointe le bout de son nez. Le suspense reste entier…
Monaco (1975)
Le Castellet (1975)
Nürburgring (1975)
Monaco (1975)
Dans son pays natal, L’Autriche, Lauda peut déjà sécuriser ce qui serait son premier titre de champion du monde de Formule 1. Pour l’en empêcher, ses principaux rivaux Fittipaldi et Reutemann doivent presque impérativement le devancer. Cela démarre mal pour eux puisqu’à l’issue des qualifications, c’est bien le régional de l’étape qui récupère la pole position en battant le précédent record du circuit. Regazzoni est repoussé au cinquième rang mais le dimanche du grand-prix, la pluie fait son apparition. Comme à Zandvoort ou Silverstone, c’est un déluge qui frappe l’Österreichring. Le circuit est noyé sous des trombes d’eau mais la course est tout de même lancée. Si les gouttes se font plus rares dans les premiers tours, un nouvel orage frappe la Styrie. Les 312T perdent pied sous ces conditions et au fur et à mesure que les minutes passent, l’écart en tête se resserre. Hunt, Brambilla, Pryce, Mass et Peterson viendront à bout de l’autrichien. Le circuit se transforme alors en un gigantesque bassin aquatique en quelques secondes. Pour la quatrième fois de l’année, la direction de course décide de stopper l’épreuve avant son terme, après seulement vingt-neuf boucles. Ce jour-là, c’est l'étonnant Brambilla qui l’emporte, un succès qui restera dans les annales puisqu’aussitôt la ligne passée, l’italien lève les mains de bonheur mais sa voiture dérape et tape les barrières. C’est donc avec un nez très amoché que le gagnant du jour effectue son tour d’honneur. Chez Ferrari, la déception est de mise. Avec seulement un demi-point récolté, Lauda n’est pas encore champion mais son heure devrait bientôt arriver et quoi de mieux que Monza pour redorer le blason jaune de la Scuderia ? La joie n’est cependant pas présente entre les week-ends autrichien et italien puisque le 19 Août, l’américain Mark Donohue décède des suites d’une hémorragie cérébrale détectée trop tardivement après un accident lors du warm-up sur l’Österreichring. Le paddock est en deuil au moment d’attaquer le grand-prix le plus attendu par les tifosi. Entre temps, la Formule 1 s’accorde une pause hors-championnat avec le grand-prix de Suisse disputé à … Dijon ! Sur le petit tracé français, Regazzoni retrouve enfin le chemin de la victoire, en espérant rattraper sa médiocre saison à Monza ou Watkins Glen. Sur l’autodrome italien, la foule est en délire et n’attend qu’une seule chose : la victoire des rouges. Le meeting à domicile démarre très fort avec un doublé en qualifications des bolides rouge et blanc, loin devant le reste du plateau. La course sera de la même trempe avec un départ parfait des 312T, Regazzoni chipant la tête à son leader dès les premiers mètres. Les tours défilent et rien ne perturbe le train à grande vitesse des Ferrari. Dans la deuxième moitié de l’épreuve, un amortisseur commence à faiblir sur la monture de Lauda. Sans prendre de risques, l’autrichien lève le pied et laisse Fittipaldi fondre sur lui. A six boucles du but, le brésilien récupère la deuxième position mais le Tessinois est trop loin pour être rattrapé. Sous le drapeau à damier, la Ferrari n°12 s’impose pour la première fois de l’année, devançant le champion sortant mais aussi le nouveau roi de la Formule 1, Niki Lauda. Du haut de ses vingt-six ans, ce fin régleur et calculateur empoche un premier sacre après avoir récolté tout ce qu’il pouvait tout au long de l’année, une première pour un pilote Ferrari depuis Surtees en 1964. Pour couronner le tout, ce double podium de la Scuderia octroie au team de Maranello le titre des constructeurs, le premier d’un non-Cosworth depuis 1967 ! La dernière création de Forghieri a été une réussite totale et malgré les quelques déboires de fiabilité et les problèmes de traction sous la pluie, la copie est quasi parfaite. Le grand-prix des Etats-Unis qui suit n’est qu’une formalité pour Lauda. Parti depuis la pole position, il n'aura qu'à résister à Fittipaldi pour signer une incroyable cinquième victoire cette année. Du côté de Regazzoni, le résultat n'est pas le même, loin de là. Après avoir accroché la McLaren de Mass dans les premiers instants de course, le suisse doit se résoudre à changer de capot avant. L'opération ne prend pas trop de temps mais entre temps, les leaders sont quasiment revenus dans son sillage. Si le Tessinois laisse la porte grande ouverte à la Ferrari n°12, il bloque ostensiblement le double champion brésilien. Fittipaldi, irrité par l'action du pilote de la Scuderia, lui exprimera largement la raison de sa colère une fois l'arrivée passée. Cette action ne passe pas inaperçue auprès du collège de commissaires qui décide même de lui imposer un passage forcé par les stands en guise de pénalité. Ceci vaudra une vive altercation entre di Montezemolo et le directeur de course Burdette Martin. Finalement, et pour protester, Regazzoni abandonne volontairement, empêchant McLaren de lutter pour la victoire et ainsi récupérer la deuxième place au championnat constructeurs, remise à Brabham. Après douze sorties en 1975, la 312T prend un repos bien mérité…
En 1976, la réglementation change et les monoplaces doivent subir quelques modifications. La carrière de la 312 est désormais proche de la fin car déjà, La 312 T2 va entrer en marche, mais pour les trois premières courses, la récente championne reprend du service. Ces dernières sorties seront l’occasion d’admirer une fois encore cette énorme cheminée, symbole de la démesure des éléments aérodynamiques de l’époque. Désormais affublées des numéros 1 et 2, les italiennes se montrent toujours en forme malgré le retour en force des autres équipes. Au Brésil, les italiennes démontrent pourtant bien vite que leur supériorité affichée en 1975 n’est pas usurpée. Si la vitesse est là, l’étonnant Hunt, désormais chef de file d’une écurie McLaren privée de son champion Fittipaldi, occupe la pole position mais à peine le premier virage passé que les deux Ferrari caracolent déjà en tête. Regazzoni est le premier leader mais celui-ci va vite se faire attaquer par son équipier, suivi de Hunt et de Jarier. Malheureusement, la lutte avec le français va se conclure par une touchette, obligeant le suisse à rejoindre les stands pour effectuer des réparations. Il terminera septième, à la porte des points. Sur l’autre bolide, rien d’inquiétant. Évitant tous les dangers et le retour en force de la Shadow de Jarier, Lauda accroche une huitième victoire à son palmarès, prouvant ici-même que sa Ferrari est encore la meilleure. A Kyalami, rebelote. Hunt part depuis la pole position mais c’est bien l’autrichien qui finira par gagner après avoir pris le commandement dès le signal de départ. Cependant, sa fin de course fut des plus pénibles, la faute à un pneu perdant en pression tour après tour. Dans un esprit de gestion implacable, le champion du monde 1975 réagit et emmène sa 312T sur le chemin de la victoire, là où son équipier Regazzoni patauge après avoir cassé son moteur. Avant que l’iconique machine de la Scuderia ne tire sa révérence, une dernière épreuve hors-championnat est tenue en marge du grand-prix de Long Beach. A Brands Hatch, pour la course des champions, seul Lauda est présent. Pour la première fois depuis l’arrivée de cette monoplace, l’autrichien va connaître l’abandon sur panne mécanique, ses freins en l'occurrence. Pour la dernière de la championne 1975, ce sont les bords de l’Océan Pacifique, et plus précisément les rues de Long Beach, qui attendent le petit cirque de la Formule 1. D’emblée, les Ferrari se montrent incroyablement rapides. Cela se traduit par la pole position de Regazzoni, sa première depuis la Belgique en 1974, alors que Lauda pointe en quatrième place. Seuls Hunt et Depailler parviennent à s’immiscer parmi le duo de Maranello. Ces derniers offriront à l’autrichien la deuxième position sur un plateau d’argent en s’accrochant bêtement. Une fois les deux 312T en tête, plus rien ne peut les perturber. Après avoir mené tous les tours et réalisé le meilleur chrono en course, le Tessinois s’impose devant Lauda. Aussi étonnant soit-il, c’est le seul doublé obtenu par l’écurie avec ce modèle et ce, malgré ses performances remarquables. La saison extra-européenne est déjà terminée, l’heure de remiser la 312T aussi…
Monza (1975)
Watkins Glen (1975)
Interlagos (1976)
Monza (1975)
La retraite de la 312T est méritée. Après neuf victoires en quinze courses, dix pôles position, quinze podiums et sept meilleurs tours en course, la belle rouge et blanche aura marqué son temps avec une empreinte inoubliable. Rapide, plutôt fiable, très maniable, performante, cette monoplace avait tout pour gagner. Avec un duo de pilotes aussi constant et véloce, remporter les deux couronnes mondiales de 1975 n’a été qu’une formalité. Ce modèle restera iconique de par son design atypique et sa carrière phénoménale s’étendant sur une année seulement. La 312T2 ne sera pas en reste, menant ses pilotes à de nombreux succès en 1976 et 1977, même si l’histoire retiendra sûrement plus l’épisode du Nürburgring et le terrible accident de Lauda. Quoi qu’il en soit, la 312T aura changé la philosophie de la Scuderia, créant une véritable vague de performance qui se traduira par deux nouveaux sacres, en 1977 et 1979, avec les non-moins iconiques 312T2 et 312T4.
La Ferrari 312 T en chiffres...
Grands-prix :
15
Victoires :
9
Podiums :
15
Poles Position :
10
Meilleurs Tours :
7