Michele Alboreto
Qui pour succéder au grand Ascari dans la lignée des champions italiens ? Alboreto peut-être ?
L’Italie et la Formule 1, une histoire d’amour qui n’aura jamais cessé d’exister. Pourtant, depuis 1953, aucun pilote transalpin n’a réussi à vraiment jouer les premiers rôles et après des années 60 et 70 quasiment vierges de succès, difficile d’imaginer un retour au premier plan d’un pilote italien. Enfin presque. Au beau milieu de la décennie de 1970, un jeune milanais trace sa route dans toutes sortes de compétitions. Son nom : Michele Alboreto. Dès sa majorité, il s’intéresse de très près à la course automobile, sa proximité avec le tracé de Monza obligeant. C’est d’ailleurs à bord de monoplaces portant le nom de ce même circuit que sa carrière de pilote débute, en 1976. Sa première monture, construite de ses propres mains, ne donne pas grande satisfaction et durant deux ans, les résultats ne viennent pas. L’acquisition d’une March en 1978 va grandement faire évoluer les choses puisqu’enfin, les podiums et les victoires sont au rendez-vous. L’année suivante, il s’inscrit dans la lignée des futurs grands en accrochant la sixième place du très relevé championnat d’Europe de F3, loin, très loin du grand vainqueur Alain Prost. Toujours en 1979, c’est en deuxième position qu’il achève la compétition italienne de Formule 3, de quoi augurer de bonnes surprises pour les années à venir. Le petit italien est doué et en ce début de décennie disco, le triomphe est enfin atteint. En battant des pilotes de gros calibres tels que Boutsen, Fabi, Baldi, Alliot ou Streiff, Alboreto commence à faire de l'œil à certains patrons d’écuries de Formule 1 mais le milanais doit encore faire ses preuves. C’est à ce moment que Lancia décide de lui faire confiance pour le championnat du monde des voitures de sport. Sur sa Beta Montecarlo, Michele enchaîne les bonnes performances, comme ses quatre podiums décrochés à Brands Hatch, au Mugello, à Watkins Glen et lors du Giro d’Italia. Face à ces résultats plus qu’encourageant, la marque turinoise décide de poursuivre l’aventure. Son chemin en Formule 3 prend fin en 1980 et pour cause : le voilà admis en Formule 1 grâce à Oncle Ken…
Le jeune homme au casque jaune et bleu, représentant les couleurs de la Suède, pays d’origine du regretté Peterson que l’italien considérait comme son idole, débarque au sein de l’écurie Tyrrell, en 1981. Le team anglais n’a plus le vent en poupe depuis plusieurs saisons et l’arrivée en force des turbos n’aide pas la petite structure à jouer aux avant-postes. Malgré cela, Alboreto saisit sa chance et intègre la catégorie reine au quatrième rendez-vous de la saison, à Imola, en remplacement de Zunino. Qualifié dix-septième, il profite des conditions météos changeantes pour remonter dans la hiérarchie jusqu’au huitième rang mais à mi-course, un accrochage avec son compatriote Gabbiani ruine tous ses espoirs de points. Des points, il n’en aura pas durant cette première campagne. Les Tyrrell 010 et 011 ne sont pas de bonnes machines et espérer, ne serait-ce qu’un top 10, serait déjà grandiose. Fort de son expérience, son équipier Cheever inscrit dix points sur l’ensemble des quinze meetings, là où la malchance touche trop souvent le milanais. Contact, accident ou casse moteur, rien ne l’épargne, pas même les qualifications. A Jarama et à Hockenheim, il ne parvient pas à échapper à l’élimination lors de l’exercice du tour chronométré. Zandvoort aurait pu lui réussir si un surrégime dans les derniers kilomètres n’avait pas explosé son bloc Cosworth alors qu’il tentait de ravir le dernier point en jeu à Salazar. Même si les résultats ne sont pas vraiment convaincants, Tyrrell décide de le garder, le juteux contrat de sponsoring associé aidant sûrement. Pour autant, l’italien est loin d’être mauvais. Comme les années passées, il s’essaye à différentes catégories, remportant un succès en Formule 2 européenne, mais aussi les 6 Heures de Watkins Glen sur Lancia, dans le championnat des voitures de sport. Rien ne semble évoluer pour sa seconde saison et pourtant, Michele est métamorphosé. Le brun bouclé manie sa 011 comme personne, décrochant d'impressionnant et presque improbables résultats avec une monoplace quasi inexistante quelques mois auparavant. Après avoir ramassé ses premiers points au grand-prix du Brésil avec la quatrième place finale, profitant bien de la disqualification de Piquet et Rosberg, il réédite l’exploit lors de la course suivante à Long Beach, maintenant longtemps la troisième position grâce à son moteur atmosphérique, avant de laisser sa place sur le podium à un Patrese bien plus véloce. Le top 3, il le découvre à Imola lors d’un grand-prix tronqué de la moitié de ses concurrents, la faute à un boycott général de la part des équipes affiliées à la FOCA. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Alboreto pointe en troisième position au championnat des pilotes et même s’il sait pertinemment que le titre est inatteignable, le voir jouer aussi haut donne quelques envies à certains chefs d’écuries. Mais à Zolder, la douloureuse réalité de la dangerosité du sport automobile refait surface. Lors des essais, Gilles Villeneuve se tue, refaisant jaillir les souvenirs du triste destin de Peterson, son idole. Pour ne rien arranger, sa monture se montre capricieuse et en quatre meetings, ce sont autant d’abandons qui l’attendent. A Monaco, pourtant, la première place aurait pu l’attendre dans ce final d’anthologie, marqué par plusieurs changements de leader en l’espace de quelques secondes. Sans son retrait à quelques kilomètres du but sur une sortie de piste provoquée par un problème de jupe coulissante, le résultat aurait pu ne pas être le même. Après une course gâchée à Brands Hatch par un problème mécanique alors qu’il venait de prendre la cinquième place au départ, l’italien reprend un second souffle pour s’adjuger les sixième et quatrième positions finales en France et en Allemagne, de quoi remonter le moral d’un team Tyrrell uniquement maintenu à flot par les performances de Michele. Après avoir brillamment décroché la cinquième place à l’arrivée de son grand-prix à domicile, le milanais s’attaque à l’ultime course de cette folle saison 1982, à Las Vegas. Le tracé tortueux et peu rapide correspond bien à la 011 et à son moteur atmosphérique, si bien que l’italien parvient à se classer troisième lors des qualifications, le meilleur résultat d’une Tyrrell depuis la fameuse P34 au Canada en 1977. Au départ, même s’il se frotte d’un peu trop près avec Cheever, Alboreto tient le rythme des Renault et semble même en mesure de les attaquer. Toujours dans le sillage des françaises, il bénéficie d’un énième problème mécanique sur le bloc tricolore d’Arnoux pour s'immiscer en deuxième position. Si la première est, a priori, inatteignable, les soucis de pneumatiques de Prost remettent la Tyrrell 011 dans le droit chemin et en quelques tours, l’écart passe de quatorze secondes à quelques dixièmes. Au deux-tiers de l’épreuve, Alboreto passe à l’attaque. Repoussé dans un premier temps par le français, il retente sa chance le tour suivant pour lui chiper le leadership, une première dans sa carrière. Dès lors, plus rien ne peut l’inquiéter. A vingt-cinq ans, l’italien s’impose en grand-prix pour sa deuxième saison. C’est le premier triomphe d’une Tyrrell depuis le grand-prix de Monaco 1978 et le splendide succès de Depailler. Michele devient, par la même occasion, le onzième vainqueur en seize rendez-vous de cette drôle de campagne 1982, tristement célèbre par les décès de Villeneuve et Paletti, mais également, par le titre surprise de Rosberg et son unique victoire à Dijon. Cette première place, il la trouvera également en sport-prototypes, remportant les manches de Silverstone, du Nürburgring et du Mugello, pour finalement prendre la cinquième place du championnat. Mais les saisons se suivent et ne se ressemblent pas. Avec l’interdiction de l’effet de sol, les monoplaces sont moins efficaces. La 011, toujours de la partie malgré ces changements, replonge dans le fond du classement. Les top 6 sont difficilement à la portée du milanais, si ce n’est à Zandvoort ou Détroit. Lors de ce dernier meeting, le pilote est transfiguré. Sur une piste que beaucoup qualifie de désastreuse, la petite anglaise et son moteur atmosphérique étonnent la concurrence en raflant une victoire inespérée. Ce dont personne ne pouvait se douter, c’est que ni Tyrrell, ni le V8 Ford-Cosworth DFV-DFY ne gagneront un jour en Formule 1. Mais ce même jour, plusieurs histoires éclatent au sein du plus connu des teams italiens et la victime de l’affaire, Tambay, serait plus que sur la sellette. Mais alors qui pour le remplacer ? La réponse est déjà toute trouvée…
Le Commendatore l’a dit, il veut revoir un pilote italien dans l’une de ses voitures avant de partir. C‘est donc chose faite avec l’arrivée du chouchou de la presse transalpine au sein de la structure de Maranello en 1984, aux côtés de l’increvable Néné Arnoux. Après deux années consécutives de titres constructeurs, la Scuderia espère réaliser la passe de trois tout en scellant un titre pilote, plus vu depuis Scheckter en 1979. La 126 C4 et son imposant aileron arrière n’est qu’une grosse évolution de sa devancière, la vaillante 126 C3. Mais si l’année précédente avait plutôt bien réussie à Ferrari, cette nouvelle campagne n’est pas de la même trempe. Si la fiabilité est plus qu’hasardeuse, la domination des McLaren MP4/2 condamne les espoirs de toutes les autres écuries. Pourtant, Alboreto ne démérite pas, comme en témoigne sa deuxième place sur la grille du premier grand-prix de l’année, à Jacarepagua. Malheureusement, et alors qu’il avait pris la tête dès le départ, ses freins vont vite le trahir, laissant passer une bonne opportunité de bien figurer à l’arrivée. Le retour en Europe sera bien plus probant. A Zolder, le milanais épate son monde en décrochant sa première pole position, dominant ses concurrents à raison d’une demi-seconde sur un tour. Sa domination sera également sans failles le lendemain, menant la course de bout en bout avec une avance de quarante-deux secondes sur Warwick, deuxième, sous le drapeau à damier. C’est la première victoire d’un italien dans un bolide rouge depuis Scarfiotti en 1966, une éternité ! Malgré le poids de la reconnaissance, du succès et de l’admiration auprès de la presse italienne, Alboreto reste calme, voire timide. Le jeune brun aux cheveux bouclés reste toujours d’un calme étonnant, ne faisant que très peu de bruit partout où il passe. Si cette victoire donne du baume au cœur de la Scuderia, les résultats ne suivent pas. La machine rouge et noire est inconstante selon les tracés et sa fiabilité est médiocre. Quand il croise la ligne d’arrivée, les points sont toujours là mais avec neuf abandons en seize épreuves, difficile de jouer le titre mondial. Michele se consolera en fin de saison, ramassant trois podiums, dont deux deuxièmes places à Monza et sur le Nürburgring. Quatrième du championnat, l’italien rêve en grand. 1985 se doit d’être son année, à condition que la Scuderia travaille sur une voiture rapide qui tienne la distance. Ce sera chose faite avec l’arrivée de la 156/85 et sa fluidité, cassant l’image des monoplaces imposantes des années passées. Cette nouvelle machine fonctionne très bien, comme en témoigne la pole position d’entrée de jeu au Brésil, suivie de la deuxième place à l’arrivée, trois secondes seulement derrière Prost. Sous la pluie d’Estoril, il est le seul à pouvoir rester dans le tour du légendaire Senna. De ce fait, le voici qui pointe en tête du championnat du monde des pilotes et l’histoire ne s'arrête pas là. A Imola, une panne d’alternateur le prive d’une probable deuxième place ou de la victoire. Cette désillusion s’efface bien vite avec une belle succession de trois podiums, offrant de très grosses unités à chaque arrivée. Deuxième dans les rues de Monaco, vainqueur à Montréal, troisième à Détroit, voilà de quoi le faire caracoler en tête du championnat à la mi-saison. Tous les espoirs sont donc permis. Face à lui, un seul pilote semble être à la hauteur pour l’empêcher de ramasser le Graal : Alain Prost. Le français est plus que déterminé à remporter la couronne mondiale dans sa McLaren aussi rapide que la Ferrari. La manche française au Castellet ne sera pas d’une grande réussite pour Alboreto, le pauvre italien voyant son moteur exploser après seulement cinq petites boucles. La roue tourne une fois encore à Silverstone avec un retour parmi les trois premiers, puis au Nürburgring, au prix d’une course épique où le milanais, après s’être élancé de la huitième position de la grille puis toucher son équipier Johansson au départ, remporte le grand-prix de la plus belle des manières. A sept épreuves du terme de la campagne 1985, c’est bien lui qui mène la danse face à Prost. Le français qui reviendra à égalité parfaite après la manche autrichienne, avant de reprendre un léger avantage au soir du grand-prix des Pays-Bas. Il ne reste que cinq courses et tout est encore jouable pour Alboreto, du moins, dans l’idéal. La réalité sera toute autre. La 156/85 qui s’était montrée plutôt fiable jusqu’ici, connaît une terrible période de casses successives. Jamais l’italien ne croisera le drapeau à damier lors de ces cinq derniers meetings. Jamais il ne sera en mesure de se battre contre son rival. Jamais il ne pourra défendre ses chances de titre. Pourquoi la mécanique s’est-elle autant enrayée en quelques semaines ? La seule chose certaine, c’est qu’Alain Prost est bel et bien champion 1985. Si la deuxième place au championnat lui reste acquise, la désillusion est grande pour Michele. Mais aurait-il tenu la pression s’il avait pu se battre jusqu’au bout ? Peut-être pas, lui qui n’a jamais connu une telle position…
Et malheureusement, plus jamais il ne la connaîtra. A partir de 1986,sa carrière en Formule 1 prend un autre tournant. Tout commence en cette campagne 86 et la domination des Williams-Honda, seulement battues par un Prost téméraire. La F186 n’est pas aussi fiable ni performante que sa devancière, de quoi compliquer grandement les choses. Pourtant, Alboreto se démène avec son matériel et réalise quelques prouesses, jamais récompensées. En quatre courses, quatre abandons. Ce sont même neuf retraits consécutifs si on y ajoute ceux de 1985. Il faudra attendre Spa-Francorchamps puis Détroit pour voir le milanais retrouver la zone des points avec deux quatrièmes places, mais toujours pas de podium. Les McLaren et Williams sont trop loin devant pour espérer être titillées. Pour ne rien arranger, les Lotus-Renault sont elles aussi de la partie, notamment grâce à Senna. Mais là n’est pas le plus grand désespoir de Michele Alboreto. Le 15 Mai, son ami Elio De Angelis se tue lors d’une séance d’essais avec Brabham au Castellet. Un circuit qui aurait pu lui coûter très cher à lui aussi lorsque l’un de ses pneus éclata dans la ligne droite du Mistral à plus de 300km/h, heureusement, sans conséquences pour lui, si ce n’est la perte d’un bon résultat. A nouveau, c’est une succession de trois abandons qui l’attendent avant, enfin, de retrouver un semblant d’efficacité, en Autriche. Sur l’Ӧsterreichring, les deux Ferrari prennent place sur le podium, Alboreto devant Johansson, mais derrière ce très bon classement se cache une douloureuse réalité : Prost, le vainqueur, a terminé un tour devant eux… Sa fin de saison sera tout autant catastrophique que l’entame : trois abandons en quatre épreuves, dont celle de Monza où il brillait étonnement avant la casse de son moteur. Avec des performances loin du compte, beaucoup se demandent si l’italien compte rester au sein d’une Scuderia Ferrari qui semble plonger dans une crise certaine. Le départ en retraite de Rosberg laisse un baquet vacant chez McLaren mais finalement, c’est son équipier suédois qui prendra place dans le baquet des machines rouge et blanche. Pour l’épauler, Ferrari engage Berger. Est-ce suffisant pour faire sortir la tête de l’eau à l’écurie de Maranello ? Non. L’année 1987 sera la pire chez mes rouges pour Michele. Pourtant, la F187 n’est pas une mauvaise monoplace. Ses performances et son rythme, que ce soit sur un tour ou sur la durée d’une course, sont impressionnants mais, parce qu’il y a forcément un mais, la fiabilité ne suit pas. Vingt-et-un abandons au total pour les deux pilotes sur l’ensemble des seize grands-prix, une véritable catastrophe lorsque l’on sait qu’il n’y en a eu qu’un seul sur sortie de piste. Le milanais est celui qui en fait le plus souvent les frais avec pas moins de douze courses où il dût mettre pied à terre. Il arrive cependant à rejoindre le podium à trois reprises, une première fois à Imola, une deuxième à Monaco et une dernière à Adélaïde, pour l’ultime manche de l’année. Le reste ne sera que désillusion, menant à une perte de foi envers son équipe. La presse italienne se déchaîne et en profite pour le mettre sous pression. L’italien n’a certes pas été épargné par les problèmes mécaniques, mais dans le même temps, son équipier autrichien, bien moins expérimenté que lui, remporte coup sur coup les manches japonaise et australienne. La fin 1987, plus que réussie par la Scuderia, serait-elle de bonne augure pour 1988 ? Probablement si McLaren n’était pas là. Car en cette saison 1988, il n’y a qu’une chose vers qui les regards sont tournés : les McLaren MP4/4 de Senna et Prost. Le duel entre les deux est titanesque et leur monoplace, largement supérieure à la concurrence, ne permet pas aux autres pilotes de batailler pour la victoire, à moins que… La F187/88C est une bonne voiture, rapide et plutôt fiable, mais pas assez pour concurrencer les anglaises. Cette année-là, rien ne leur échappe, pas une victoire. Alboreto, comme Berger, fait tout son possible pour tenter de battre à la régulière la grande rivale d’Outre-Manche, mais il n’y a rien à faire. Le principal problème de cette machine, c’est sa consommation excessive en carburant, obligeant ses pilotes à constamment lever le pied pour espérer terminer les courses. Le milanais ne s’en sort pas trop mal mais face à son équipier Berger, il n’y a pas match. L’italien se fait dominer et sa place au sein de la Scuderia est grandement remise en cause. Beaucoup de rumeurs envoient Mansell le remplacer dès 1989. Un échange Ferrari-Williams ne serait pas forcément un mauvais choix pour Michele mais qu’en sera-t-il ? Finalement, Patrese est reconduit et les options pour le futur s’amenuisent. Le 14 Août, une terrible nouvelle secoue le monde entier : Enzo Ferrari est décédé. A 90 ans, le Commendatore aura bâti un empire iconique, une véritable institution , sûrement la plus grande de l’histoire du sport automobile et de l’automobile en général. Alors quoi de mieux que de triompher en sa mémoire à domicile, sur le circuit de Monza ? Ce jour-là, les MP4/4 sont dominantes comme à l’accoutumée. Le premier pépin survient lorsqu’à mi-course, Prost est victime d’un bris mécanique. La victoire devrait revenir à Senna mais à deux tours du but, alors qu’il prenait un tour au remplaçant de Mansell malade, Schlesser, le brésilien escalade la Williams et s’échoue sur un vibreur, moteur calé. Derrière, surgissent les deux Ferrari dans l’ordre Berger - Alboreto pour la gagne. Si l’italien revient comme un missile sur le leader dans les derniers kilomètres, le classement n’évoluera pas. L’hommage à Mr Ferrari n’aurait pas pu mieux se passer. Cinq dixièmes, voilà ce qui sépare l’italien de ce qui aurait pu être sa dernière victoire en Formule 1. Car oui, ses jours dans la catégorie reine sont peut-être comptés, enfin, pas tout à fait. Malgré des appels pour courir en Groupe C chez Sauber-Mercedes, le milanais souhaite avant tout rester en F1. Les portes des top teams se ferment les unes après les autres alors pas le choix, il va falloir voir plus bas, comme chez Tyrrell par exemple…
L’écurie de l’Oncle Ken ne peut que l'accueillir à bras ouverts après les prestations de ses années pré-Ferrari mais rapidement, la discorde prend place entre les deux parties. Suivi par le cigarettier Marlboro depuis le début de sa carrière, Alboreto se voit tout simplement éjecté de l’équipe après seulement six grands-prix, la faute à un contrat signé entre Tyrrell et le concurrent Camel. Ce départ précipité irrite quelque peu l’italien, auteur de deux belles prestations malgré son modeste matériel. Brillant cinquième à Monaco après sa non-qualification d’Imola, il retrouve le chemin du podium avec une incroyable troisième place à Mexico, le premier top 3 de son équipe depuis six ans et la victoire de ce même Michele à Detroit. Mais alors, où aller pour continuer sa carrière en catégorie reine ? Cette fois-ci, pas le choix d’explorer les profondeurs du classement. C’est chez Larrousse et son V12 Lamborghini que trouve refuge le milanais, en remplacement d’Eric Bernard, lui aussi en intérim à la place de Yannick Dalmas. L’aventure s’annonce très compliquée et pour cause, Alboreto va devoir se plier à l’exercice des pré-qualifications avant même d’espérer être qualifié pour le grand-prix. S’il réussit à outrepasser ces exercices lors de ses cinq premières sorties, les résultats sont catastrophiques. Quatre abandons et une onzième place à Estoril, à deux tours des leaders, comme meilleur résultat, voilà qui n’enchante guère celui qui jouait parmi les gros bras les années passées. A Suzuka, il ne parvient pas à se qualifier mais c’est encore pire à Estoril et à Adélaïde où sa LC89 ne lui permet même pas de franchir le cap des préqualifications. Ces déconvenues le poussent à chercher un volant ailleurs et c’est dans la nouvelle alliance Arrows-Footwork que l’italien se pose pour deux saisons. Malheureusement, rien n’ira pour le mieux. La A11B n’est pas meilleure que la Larrousse mais surtout, elle a été bâtie autour d’un moteur Porsche qui ne sera prêt que dans un an ! En attendant, Alboreto ronge son frein, espérant uniquement passer le cap éliminatoire des préqualifications. Pas trois fois il manquera de se qualifier pour la course mais le reste du temps, lorsqu’il est assez rapide pour figurer sur la grille de départ, il ne peut s’élancer mieux que quatorzième pour terminer, au mieux, neuvième à Estoril. Pas de points, une première pour l’italien depuis sa première saison en F1, en 1981. Que peut-il arriver de pire pour 1991 ? Pas grand-chose, et pourtant… Le V12 Porsche, si longtemps développé, s’annonce être une réelle calamité, la faute à un manque cruel de lubrification. Résultat : six épreuves, deux non-qualifications et quatre abandons. Le bloc allemand est donc laissé de côté pour revenir au traditionnel V8 Cosworth mais là encore, la monoplace ne fonctionne pas. Des ennuis mécaniques à tout-va, des non-qualifications, des non-préqualifications, voilà de quoi sera faite la saison 1991 de Michele. Un désastre. Il ne verra l’arrivée qu’à deux reprises, à Estoril et Adélaïde mais loin, très loin d’un éventuel top 6 synonyme de points. Sa carrière en Formule 1 touche le fond et pour beaucoup d’observateurs, et malgré son coup de volant génial, sa place n’est plus ici mais probablement en endurance ou aux Etats-Unis. Pour autant, le milanais rempile pour 1992 avec Footwork. Bon choix ou terrible décision ? Difficile de faire pire que cette dernière campagne. L'arrivée du V10 Honda, préparé par Mugen n’est pas une mauvaise chose en soit et cela se voit sur la piste. Toujours au départ, très souvent parmi les dix premiers, Alboreto revit. Bon, la saison est loin d’être idéale avec seulement quatre arrivées dans la zone des points, dont deux cinquièmes places, mais l’espoir y est. A bientôt 38 ans, Michele Alboreto sent que les portes de la catégorie reine risquent de bientôt se fermer pour lui mais l’envie de piloter reste forte. Dixième du championnat, pourquoi pas tenter de viser mieux dans un nouveau projet ? Affaire à suivre…
Car en 1993, l’italien décide de retourner en Italie. Non pas à la Scuderia Ferrari mais à la Scuderia Italia. Jadis pourvues de châssis Dallara, les monoplaces transalpines évoluent, dès 1993, avec Lola, accompagné du V12 Ferrari. Si en 1991, Alboreto avait touché le fond, en 1993 il découvrira les abysses. La Lola BMS B93/30 peine à se qualifier sur tous les circuits. A cinq reprises, le milanais manque le coche et ne s’aligne pas sur la grille de départ. La flamme de la F1 a beau être présente, jouer dans les bas de tableau n’est pas le plus glorieux. Le vice-champion 1985 ne désespère pas et continue de pousser et d’essayer, mais sans succès. A la fin de la saison, son écurie n’a plus un sous et est obligée de déclarer forfait pour les deux dernières sorties extra-européennes. Est-ce la fin pour Michele ? Pas encore. Avec Pierluigi Martini, il décide de pousser une année de plus au sein de la modeste écurie Minardi, qui a récemment absorbé la BMS Scuderia Italia. Bien que les deux équipes unissent leurs forces, difficile d’imaginer une éventuelle arrivée sur le devant de la scène avec de si petits moyens. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Alboreto sauve la mise en empochant, in-extremis, le point de la sixième place à Monaco, son dernier en F1. Cette année 1994 marque la disparition de deux pilotes, Ratzenberger et Senna, encore deux hommes partis trop tôt en exerçant leur passion. Le moment est venu pour l’italien de raccrocher son casque, encore une fois touché par la douleur de la perte de personnes proches. Mais si l’aventure Formule 1 s’achève dans l’indifférence, son envie de piloter reste très forte. Ce sera du DTM pour 1995. Le championnat allemand est très relevé mais au bout d’une année, Alboreto cesse. Après s’être essayé à l’Indycar, non sans avoir obtenu de bons résultats dans l’ensemble, le milanais s’aligne avec Porsche et le Tom Walkinshaw Racing pour disputer les 24 Heures du Mans 1996, sans réussite. Dans la deuxième moitié des années 90, l’endurance revient à son plus haut niveau et l’arrivée en masse des constructeurs tels que Porsche, Mercedes, McLaren ou BMW ne font que renforcer l’essor d’une discipline rendue à bout de souffle après l’effondrement des Groupe C. Un an plus tard, rebelote mais cette fois-ci, c’est la timbale. Michele Alboreto remporte la classique mancelle en compagnie de Kristensen et de Johansson, son ex-équipier chez Ferrari. Dès lors, sa trajectoire est toute trouvée et ce sera l’endurance. Rapidement approché par Audi pour développer les R8C, R8R et R8, il devient pilote maison et reprend goût à la course automobile. Son travail acharné paie puisqu’au début du millénaire, dans le championnat American le Mans Series, son prototype domine les Panoz, BMW et autre Cadillac. L’année 2000 s’annonce grandiose pour lui : deuxième aux 12 Heures de Sebring, troisième aux 24 Heures du Mans puis vainqueur de Petit le Mans, voilà des résultats qui l’enchantent. Ne reste plus qu’à confirmer en 2001. Tout démarre plutôt bien avec un succès d’entrée de jeu à Sebring. Personne ne pouvait alors se douter que rien ne serait plus comme avant à partir de ce moment-là.
Le 25 Avril 2001, sur le circuit de Lausitzring, une séance d’essais en décida autrement. Lancé à plus de 320km/h, l’un des pneumatiques de son Audi R8 explose. Le prototype se serait retourné, décollé, avant de frapper de plein fouet les barrières et de terminer sa terrible course derrière. Le choc, incroyablement rude, ne lui a laissé aucune chance. Michele Alboreto venait de nous quitter. Sa mort, qui a résonné comme un électrochoc dans le monde du sport automobile, s’est pourtant faite dans la discrétion. Cet homme, toujours respecté, n’avait jamais fait parler de lui. Incroyable bosseur, doué d’un talent inné, il n’aura pas laissé une trace indélébile dans l’histoire de la Formule 1 et pourtant, il n’a pas été loin de rafler la mise en 1985. Souvent malchanceux, très peu maladroit, il aura vu trop de ses amis et collègues disparaître avant lui, Peterson le premier. Selon Berger, “Alboreto est mort en faisant ce qu’il aimait.” Sa science du pilotage lui aura permis de glaner cinq victoires, deux poles position, deux meilleurs tours et vingt-trois podiums, un palmarès plutôt enviable pour un pilote qui n’aura cessé de pousser les limites, années après années, espérant un revirement de situation qui n’arrivera qu’avec l’endurance en 1996. Sa carrière en longues courses aurait pu être brillante tant son développement de la R8 a été acharné. Sans lui, la marque aux anneaux n’aurait peut-être pas accroché tant de lauriers à leur palmarès. Une légende à saluer, trop injustement oubliée.
Michele Alboreto en chiffres...
Meilleur classement en championnat du monde F1 :
2e (1985)
Grands-prix :
194 (217 engagements)
Victoires :
5
Podiums :
23
Poles Position :
2
Meilleurs Tours :
5