Carlos Reutemann
L’Argentine voyait en Reutemann leur nouvelle idole depuis Fangio mais le chemin fut semé de bien trop d’embûches…
Depuis la création de la Formule 1 en 1950 et jusqu’en 2002, l’Argentine était le pays du plus grand champion de la discipline, un certain Juan-Manuel Fangio. Fort de ses cinq couronnes mondiales, il n’aura laissé que des miettes à ses concurrents de l’époque. Dans les années 60, beaucoup de petits argentins avaient un rêve commun : devenir la nouvelle superstar de la F1. L’un d’eux s’appelait Carlos Reutemann. Dès son plus jeune âge, il se passionne pour le pilotage mais il lui faudra attendre ses 23 ans pour le voir débuter ses premières épreuves en compétition. Pas de monoplace pour débuter mais du tourisme avec des Fiat 1500 ou des Ford Falcon TC. Pilote réfléchi avant tout, il lui faut tout de même trois ans pour se retrouver au volant de “vraies” voitures de courses. C’est donc en 1968, lors des “Temporada Races”, un championnat argentin de F2, qu’il touchera enfin à la monoplace. Les résultats ne sont pourtant pas brillants mais Reutemann ne baisse pas les bras. En 1970, il tente quelques piges en endurance mais surtout, il s’essaye au très relevé championnat européen de Formule 2. L’acclimatation sera difficile. Pour sa première course à Hockenheim, l’argentin s’accroche avec Rindt lors du premier tour, conduisant l’autrichien à abandonner (c’est ce même Rindt qui remporta, à titre posthume, le championnat du monde de Formule 1 cette même année). Il ne récoltera que quelques points, pas de quoi impressionner les grandes équipes. En 1971, c’est toujours le “Automovil Club Argentina” qui le soutient avec, cette fois-ci, de solides résultats. Deux victoires hors-championnat, de nombreux podium et une deuxième place au général derrière Peterson, voilà de quoi faire germer quelques idées de F1 pour celui qui approche déjà les trente ans. Cette possibilité, il n’aura pas attendu longtemps pour la saisir. Avant même les débuts officiels de cette saison de F2, il s’offre la McLaren M7C de l’Ecurie Bonnier pour courir le grand-prix argentin, première sortie hors championnat de l’année. Face aux cadors de la discipline, Reutemann ramasse la troisième place. Il n’en fallait pas plus pour l’expédier au sommet, Bernie Ecclestone l’avait bien compris…
Maintenant dans le grand bain avec la grande équipe Brabham, Carlos Reutemann sait qu’il doit prouver que sa présence au sein du peloton est bien méritée. Il le démontrera d’emblée avec une victoire exceptionnelle sur le circuit d’Interlagos, la première manche hors-championnat de l’année. La première “vraie” épreuve se tient chez les siens et là encore, Lole, comme il sera surnommé, défit les lois de la physique. Premier grand-prix et première pole position, un exploit que seuls trois autres pilotes ont réussi à réaliser. Malheureusement, un très mauvais choix de gommes et des températures assommantes auront raison de sa bonne prestation. Il achèvera sa course septième, juste derrière son ancien rival, Peterson. Ce sera son seul coup d’éclat en cette saison 1972. Ses Brabham BT34 et BT37 sont loin d’être au niveau et sont trop souvent touchées par divers ennuis mécaniques. Dans le même temps, l’argentin poursuit son apprentissage des pistes européennes en concourant toujours en Formule 2 mais un accident lors de la deuxième manche à Thruxton l’obligera à rester sur la touche pour le grand-prix d’Espagne et de Monaco. Bien qu’il ne remporte aucune course en Formule 2 en 1972, il se classe quatrième du championnat, un bien meilleur résultat qu’en catégorie reine et sa seulement seizième place, un rang derrière son équipier expérimenté, un certain Graham Hill. Lole n'atteindra les points que lors de l’avant-dernière sortie, à Mosport Park, avec une belle quatrième place, à six secondes de la dernière marche du podium. En 1973, il est rejoint par le frère du champion en titre, Wilson Fittipaldi, qu’il dominera nettement d’ailleurs, La nouvelle BT42 change drastiquement par rapport à sa devancière et les performances s’en ressentent. Pourtant, son début de saison est dès plus catastrophique : quatre abandons en six courses, pas de points. Ce n’est qu’à partir du grand-prix de Suède que les choses s’améliorent pour Reutemann. Quatrième sur la piste scandinave, il grimpera sur son premier podium au Paul Ricard, profitant du malencontreux accrochage entre Emerson Fittipaldi et Jody Scheckter à quelques tours du but pour s’adjuger une troisième position royale, juste quelques dixièmes devant Stewart. Les bonnes qualifications s'enchaînent, les points s’accumulent, les erreurs se raréfient, voilà de quoi faire espérer de rapides gros résultats. Il concluera sa saison par un nouveau podium après être parti du second emplacement de la grille de départ, en attendant forcément mieux pour l’avenir, toujours chez Brabham…
Après deux ans à chercher le devant de la scène, Lole doit démontrer toute l’étendue de son talent. La BT44 est, sur le papier, une voiture innovante pourvue d’un aérodynamisme impeccable. Cela se prouve dès la première manche, en Argentine, avec une outrageuse domination du régional de l’étape, solide leader la majorité du grand-prix. Mais à quelques kilomètres du but, la prise d’air du moteur se fissure et penche en avant, réduisant sérieusement l'efficacité du moteur Cosworth. Pire encore, les ingénieurs Brabham ont mal calculé la quantité d’essence à embarquer, si bien que le pilote doit considérablement ralentir pour espérer croiser la ligne d’arrivée. Dans l’avant-dernier tour, Hulme lui chipe la première place puis, quelques secondes plus tard, la panne tant redoutée arrive. La désillusion est totale, autant pour l’argentin que pour les milliers de fans venus applaudir leur héros local. En délicatesse avec ses gommes au Brésil, il renversera enfin la tendance à Kyalami, effaçant rapidement Lauda pour la tête avant de filer facilement vers sa première victoire en F1, la première d’une Brabham depuis quatre ans mais surtout, la première d’un argentin depuis Fangio en 1957 ! Ce retour en forme de l’écurie anglaise sera vite stoppée par une succession d'abandons, réduisant presque à néant les chances de titre de Reutemann. Deux accidents en Espagne et à Monaco, des fuites d’huile ou d’essence en Belgique et en Suède, une lointaine douzième place au Pays-Bas, puis de gros soucis d’adhérence en France, voilà de quoi ruiner une saison pourtant si bien engagée. La fin du championnat sera relativement meilleure avec des points retrouvés à Brands Hatch, un nouveau podium sur le Nürburgring mais surtout, deux nouveaux succès, respectivement sur l’Österreichring et à Watkins Glen. Il se classera sixième du championnat en ayant marqué quasiment tous les points de son équipe, un moindre mal pour une campagne finalement ratée. Mais en 1975, la concurrence monte d’un cran et surtout, les Ferrari deviendront inatteignables. Pour autant, Reutemann profite d’une splendide BT44B, bien née qui plus est, pour challenger les deux ténors de l’année, Lauda et Fittipaldi. Lole marquera souvent de gros points mais ne jouera que très rarement les premiers rôles. S’il grimpe sur six podiums en quatorze départs, il doit, pour la première fois, composer avec un équipier rapide en la personne de Carlos Pace. Son rythme en course est bon et ce grâce à une gestion de sa machine irréprochable. Tel un Clark ou un Prost, il ne cherchait pas à tout prix à s’afficher comme le plus véloce. Non, Carlos était de ceux qui réfléchissait avant chaque action, cherchant constamment la trajectoire parfaite pour gratter les quelques centièmes qui feraient la différence, un style peu agressif mais qui aura du succès. Le point d’orgue de son année 1975 sera sa splendide domination et victoire sur le terrifiant Nürburgring, plus d’une minute et demie devant le second, Jacques Laffite et sa Williams. S’il ne s’est jamais montré comme un candidat sérieux pour la couronne mondiale face à Lauda, il aura tenu un long moment la deuxième place du championnat devant Fittipaldi, finalement coiffé au poteau pour douze points. Sa constante amélioration laisse présager un bond en avant pour 1976, en espérant bien sûr que la mécanique suive. Erreur. En cette année charnière dans l’histoire de la Formule 1, Brabham fait le choix de s’équiper du douze cylindres à plat Alfa Romeo : une catastrophe. En plus d’être extrêmement gourmand et trop peu puissant, le bloc italien n’est absolument pas fiable. Il n’y a qu’en Espagne, sur le tracé de Jarama, que Reutemann amènera des points, ceux de la quatrième place. Le reste du temps, c’est abandon sur abandon. L’heure est venue de changer d’air mais où aller ? C’est alors qu’un certain 1er Août 1976, en Allemagne…
Ce fameux jour d’été, Niki Lauda est victime d’un terrible accident sur le très décrié Nürburgring. Grièvement blessé, il ne peut continuer de piloter, du moins, pas encore. Pour Enzo Ferrari, l’autrichien se doit d’être remplacé pour éviter de perdre des couronnes promises. Alors qui aligner aux côtés du moustachu Regazzoni ? Reutemann, évidemment. Après un désastreux grand-prix des Pays-Bas, l’autrichien signe son contrat auprès de Luca di Montezemolo pour la fin de saison, mais aussi et surtout pour les deux années qui suivent. Ses premières sorties doivent avant tout permettre à la Scuderia de palier à l’absence de Lauda et de protéger son leadership face à un Hunt remonté comme jamais. C’est donc à Monza que Lole sort pour la première fois en rouge mais il y a un hic : Niki Lauda est déjà de retour ! Gravement brûlé, il ne supporte plus les hôpitaux et veut gagner avec panache. Ferrari ne refuse les services ni de l’un ni de l'autre puisque ce ne sont pas moins de trois 312 T2 qui sont alignées sur l’Autodromo italien. Sa performance sera moyenne puisqu’il sera battu à la régulière par son futur équipier dévisagé. Pour ne rien arranger, la Scuderia n’aligne que deux machines pour les dernières courses de l’année. Sa saison 1976 s’arrête donc là, avec trois petits points inscrits, autant que Fittipaldi à bord de sa Copersucar fait maison… 1977 se doit d’être l’année de la rédemption pour Reutemann. Subsiste un problème de taille : Niki Lauda. Les deux hommes ne s’apprécient guère et leur mauvaise entente pourrait bien faire vriller la bonne dynamique des rouges. Là encore, c’est la 312 T2 qui est de sortie mais quid du résultat final ? Pour ne rien arranger, l’écurie de Maranello donne le rang de pilote numéro 1 à l’argentin, de quoi nourrir en,core plus des tensions déjà bien palpables. La saison débute sous les meilleurs auspices avec un podium à domicile puis une victoire au Brésil lors de la course suivante, non sans avoir lutté face au champion sortant James Hunt. La monture italienne est fiable et performante mais celui que la presse voyait comme le nouveau Fangio rentre peu à peu dans le rang, laissant libre champ à Lauda le loisir de renverser la tendance au sein d’une Scuderia qui ne travaille plus vraiment pour lui. Quelques erreurs et accidents lui coûtent de nombreux points, notamment à Long Beach et Zolder. Ces bévues le font bien vite rétrograder au classement qui voit dès lors s’opposer deux personnages bien différents, Lauda et Scheckter. Bien qu’il soit toujours considéré comme le numéro 1 de l’équipe, Reutemann ne pourra chercher les points qu’il lui manque face aux leaders et malgré une accumulation de top 6, l’écart augmente constamment. Pour ne rien arranger, l’ambiance au sein de Ferrari est déplorable entre l’autrichien et le reste de l’équipe. La séparation est imminente, de quoi réjouir l'argentin qui sait pourtant que 1977 ne sera certainement pas son année. Après le titre des constructeurs acquis à Monza, l’annonce du départ de Lauda ne surprend personne. A Watkins Glen, le miraculé de 1976 décroche son deuxième titre alors qu’il reste deux grands-prix à disputer. Ce dernier finira même par quitter sur le champ son écurie pour mieux rebondir l’année suivante. Reutemann, qui n’aura rien pu faire pour calmer les mœurs, se sent libéré d’un poids, lui qui n’a jamais demandé quelconques traitements de faveur. Désormais associé au fougueux Gilles Villeneuve, il aura à cœur de faire briller la future 312 T3 et de démontrer au monde entier que le digne descendant de Fangio est bien en piste. Grosse frayeur cependant avant l’entame de saison : la famille Reutemann est introuvable à une semaine de la manche argentine ! La raison derrière cette disparition est une tempête survenue en pleine mer, prenant au piège leur embarcation. Cela ne l'empêchera pas de performer à domicile, bien que la stratégie pneumatique ne le fasse chuter hors des points. Il faut dire que les nouvelles gommes Michelin à carcasse radiale sont relativement nouvelles mais les premiers résultats sont plutôt encourageants. Au Brésil, il se qualifie quatrième et après un départ express qui le catapulte en tête, la victoire lui est acquise, et facilement. Serait-ce alors son année ? Pas vraiment. A Zolder, Lotus présente la 79, une arme de guerre redoutable qui dominera de la tête et des épaules cette saison 1978. Reutemann continuera de se battre mais avec une 312 T3 en deçà des performances du team anglais, difficile de rivaliser. Il y mettra tout son talent et son envie de gagner pour se rapprocher au maximum des noire et or. A Long Beach, les Ferrari sont très rapide mais c’est son équipier Villeneuve qui chasse la victoire mais pris dans son excès de fougue habituel, il sortira, accrochant Regazzoni, laissant l’argentin filer vers un deuxième succès en 1978. A Jarama, Lole est victime d’une effroyable sortie de piste qui aurait pu lui réserver un bien triste sort. En effet, après avoir glissé à pleine vitesse hors-piste, sa monoplace pulvérise les rangées de grillages avant de se lever de côté et frapper de plein fouet les glissières de sécurité. Sa monture est détruite mais le drame est évité de justesse : les suspensions et la carrosserie ont transpercé l’acier ! Après deux courses ternes en Suède et en France, Reutemann revient au premier plan lors d’une course poursuite légendaire face à son ex-équipier, Niki Lauda. Alors que les deux hommes de battent dans le trafic des retardataires pour le leadership, Giacomelli bloque la Brabham qui doit s’écarter pour éviter le contact. Ce léger décalage est une offrande pour Reutemann qui s'immisce dans ce trou de souris pour filer vers son troisième succès de l’année. Il réitérera cette performance à Watkins Glen, recollant à seize petits points du duo de Lotus au classement général final. Son aventure en rouge touche déjà à sa fin, poussé vers la sortie par un certain Jody Scheckter. C’est alors qu’une place de choix s’offre chez la concurrence : Peterson quitte Lotus à l’issue de la saison, laissant derrière lui un baquet vacant de second pilote. La chance est trop belle pour l’argentin qui pourra piloter la fabuleuse 79 à effet de sol. Pari gagnant ?
Hélas non. La bête noire et or, devenue verte, a déjà été copiée et dépassée en termes de performances par la concurrence. Presque la moitié du plateau utilise l’effet de sol, même Ferrari. De plus, son rang de second couteau l’oblige, selon Chapman, à se plier aux ordres de l’équipe, c’est-à-dire laisser passer Andretti pour la gagne. S’il s’offre deux podiums d’entrée de jeu, il se rend bien vite compte que la vitesse des Ligier est étonnante. Pire encore, celle des Ferrari 312 T4 sera démentielle. Bien que moins à l’aise que ses concurrents en début de championnat, l’argentin cumule les arrivées dans le top 6 avec quatre podiums en sept épreuves, bien mieux que son équipier champion Andretti. Pourtant, personne ne veut croire à la crise chez Lotus. Le début de saison n’est qu’une transition avant l’arrivée de la Lotus 80, une voiture encore plus révolutionnaire que sa devancière. Ce sera un désastre total. Tout d’abord, seul l’américain l’utilise, Lole estimant qu’elle n'apportait que des problèmes à l’équipe. Deuxièmement, son manque d’implication dans ce projet conduit à certaines frictions avec Chapman et Andretti. Le climat se tend sérieusement dans le clan anglais qui recherche désespérément à retrouver les premières places détenues par les Ferrari, Ligier, et bientôt Williams. Si des nouveautés apparaissent sur les 79, elles ne feront qu’empirer les choses. A mi-saison, Reutemann compte 20 points au compteur contre 12 pour son équipier mais ce dont il ne pouvait se douter, c’est de la descente aux enfers que va suivre son équipe. Plus jamais il ne marquera de points en cette année 1979. Sa monture est certes plus rapide que la saison dernière, elle se fait pourtant déposer par la concurrence. A cela s’ajoute une fiabilité précaire et un manque d’engouement pour le développement de la 80, une sacré dégringolade pour les champions sortant. Il est toutefois à noter que l’argentin est bien plus rapide qu’Andretti malgré son statut de second pilote mais avec un tel matériel et un tel retard pris vis-à-vis de la concurrence, l’envie de chercher ailleurs se fait sentir. La douche froide arrive à Monza, là où la Scuderia sécurise les deux titres, ce qu’il n’avait pas réussi à faire du temps de son passage à Maranello. Son caractère ne joue pas en sa faveur et parmi les top teams, peu sont intéressées par son profil, à part peut-être Williams, désormais à la recherche de celui qui laissera Jones gagner. Il faut dire que même si sa place est peu enviable, le team anglais a quand même créé la surprise en remportant cinq des sept dernières courses de l’année. Le risque est pris, il ne faut juste pas refaire comme Lotus…
Mais par chance, en 1980, la performance est toujours au rendez-vous. Jouer les premiers rôles sera facile avec une monoplace si rapide mais il reste encore et toujours un hic : son poste de numéro 2 et chez Williams, on ne rigole pas avec ça. Si Reutemann mène devant Jones et que l’écart entre les deux n’est pas conséquent, il sera contraint de ralentir pour laisser gagner l’australien. Avec un peu de chance, il finira quand même devant lui, comme il l’avait fait chez Lotus avec Andretti. Mais son début de saison est bien plus douloureux qu’escompté. Quatre courses et trois abandons sur pannes mécaniques, son seul résultat valable étant une cinquième place à Kyalami. Déjà relégué loin derrière son équipier, lui aussi dépassé par Piquet et Arnoux, le pilote Williams commence déjà à se questionner sur ses réelles chances dans l’écurie de Didcot mais la roue finit par tourner et les premiers résultats arrivent. A Zolder, il y décroche son premier podium avec le team anglais, troisième derrière Jones puis pour la manche suivante, à Monaco, il remporte son dixième succès en Formule 1, profitant des abandons de Jones et Pironi pour sécuriser une nouvelle victoire sous une pluie diluvienne. Seulement sixième en France, il ne tarde pas à retrouver le chemin du top 3 dès la manche de Brands Hatch, puis à Hockenheim et sur l’Österreichring, de quoi le faire remonter parmi les leaders au championnat. Il sait pourtant pertinemment qu’il n’aura pas le loisir de se battre pour la couronne et ce, malgré ses dix-sept points de retard sur son équipier, premier au classement général. Il ne reste que quatre courses à disputer et les jeux sont quasiment faits. La Williams FW07B est indéniablement la meilleure voiture du plateau si bien que Reutemann va engranger une impressionnante série d’arrivée dans les points consécutives avec pas moins de 15 entre la Belgique 1980 et la Belgique de l’année suivante, un record qui tiendra plus de vingt ans, battu par M.Schumacher lors du grand-prix d’Allemagne 2002 ! Trois nouveaux podiums viendront s’ajouter à son palmarès en 1980, de quoi lui assurer la troisième place du championnat malgré ses sept points décomptés. Jones remporte les lauriers, Williams sécurise son premier titre constructeur, l’avenir s’annonce radieux pour le team anglais. Lole, qui estime avoir plus que rempli son rôle de second couteau, veut désormais faire jeu égal avec son équipier. Le traitement de faveur n’aura finalement jamais lieu. En 1981, Williams fait encore évoluer sa FW07 pour lui offrir la déclinaison C, l’aboutissement de trois années de travail. Tout le monde s’attend à une domination des voitures blanches et vertes et de Jones, toujours numéro 1. Pour la manche d’ouverture à Long Beach, les anglaises dépassent sans vraies difficultés l’Arrows de Patrese pour la tête mais à cause d’une erreur de pilotage, Reutemann doit céder face à son équipier. L’envie d’en découdre est forte mais le stand Williams lui en interdit. Bien qu’il termine sur la deuxième marche du podium, le porteur d’eau du champion sortant ne digère pas cette décision d’équipe. La tension montera encore d’un cran au Brésil où, sous la pluie tropicale, Lole devance Jones. Dans les derniers tours, alors que l’écart entre les deux machines ne dépasse pas les trois secondes, un panneau sorti par Williams leur indique d’échanger leur position. Les tours passent mais l'argentin n’obéit pas. S’il décroche un onzième succès, l’ambiance est électrique dans le garage de Frank Williams. Jones refuse même de participer au podium, estimant avoir été trahi par celui qui devait le laisser gagner. Celui que l’on pensait fragile et loyal envers son équipe venait de montrer un tout nouveau trait de caractère encore inconnu chez lui, celui d’un rebelle prêt à tout faire vaciller pour l’emporter. Sans le savoir, Reutemann venait de déclencher une guerre interne dont il ne sortira pas vainqueur. Cet épisode brésilien sera suivi de trois autres gros résultats avec en prime, une victoire à Zolder et un large leadership au championnat du monde. Cette sortie belge ne sera pourtant pas épargnée par les polémiques, à commencer par cet accident lors des essais du vendredi. Alors qu’il rentrait aux stands, Reutemann voit devant lui, un mécanicien de chez Osella trébucher la tête la première. Le choc est inévitable. Le malheureux décèdera deux jours plus tard du fait de ces blessures, un douloureux événement qui aura forcément un impact psychologique sur l’argentin. Victime d’une casse de boite de vitesses à Monaco, il retrouve le chemin des points à Jarama avant de contre-performer au Castellet, piégé par les conditions et un accrochage avec Rebaque. A Silverstone, il évite les ennuis pour passer de la neuvième à la deuxième place sous le drapeau à damier. Il ne reste que six rendez-vous à compléter et plus que jamais, Lole entrevoit la lueur d’un titre qui se refuse à lui depuis tant de temps. Même s’il sait qu’il ne sera pas aidé par son équipe, son avance de dix-sept points sur Piquet devrait lui permettre de sécuriser une étoile parmi les étoiles. Mais à Hockenheim, premier bâton dans les roues. Williams préfère proposer à Jones l’évolution moteur présentée par Cosworth. Pour l’argentin, ce sera un vieux bloc qui sera monté sur la FW07C, celui là même qui finira par casser le dimanche. Dès lors, la bonne dynamique est brisée. Seulement cinquième en Autriche puis victime d’une bête collision à Zandvoort avec Laffite, l’argentin voit son rival brésilien revenir à égalité parfaite alors qu’il ne reste que trois courses à disputer. A Monza, Jones le devance, ainsi que Piquet mais dans l’avant-dernier tour, le moteur du brésilien explose. Si Reutemann retrouve la troisième place, l’autre Williams ne lèvera jamais le pied pour le laisser passer et lui offrir deux points supplémentaires. A l’issue de ce grand-prix, surprise : Jones annonce son départ à la retraite, las des querelles politiques de la Formule 1. Sans réels enjeux pour lui, peut-être se montrera-t-il clément pour aider son voisin de garage à glaner la couronne. Pas sûr. Au Canada, les conditions sont désastreuses. Bien que partant depuis la deuxième place de la grille, Lole rate le coche en choisissant ses gommes. En quelques tours, il dégringole en fond de classement et ne sortira jamais vraiment la tête de l’eau. A l’arrivée, il ne compte plus qu’un point d’avance sur Piquet, six sur Laffite revenu de nulle part. Tout se jouera donc à Las Vegas, sur une piste digne de Mario Kart. Tracé sur le parking du Caesars Palace, ce circuit est l’un des pires que la Formule 1 ait pu proposer mais c’est pourtant ici qu’un nouveau champion sera couronné. Le samedi, Reutemann décroche la pole et fait un premier pas vers la gloire malgré sa haine envers la piste et la ville américaine. Mais le dimanche, rien ne va. Sa monture est la pire qu’il ait piloté. Les réglages ne lui conviennent plus, tout va de travers. Est-ce un coup monté de Williams pour le punir de son affront lors du grand-prix du Brésil ? Dur de savoir mais l’hypothèse tient la route. Durant tout le grand-prix, l’argentin se débat avec une monoplace très difficile à piloter, chutant au huitième rang sous le drapeau à damier alors que son équipier l’emporte… Piquet termine cinquième et glane deux points, de quoi le faire devenir champion pour une petite unité. Coup du sort. Chez Williams pourtant, tout le monde est satisfait, se congratule, fait la fête. L’équipe est championne des constructeurs et s’en réjouit. Pas un mot, pas un regard n’ira à Carlos Reutemann. La trahison est grande et à peine cachée. C’est sans doute la fin de championnat la plus cruelle qu’un team puisse offrir à son pilote. Frank Williams ne l’a d’ailleurs jamais caché : pour lui, un titre des équipes vaut plus qu’un titre pilote. L’argentin est en colère, désabusé. Son avenir s’inscrit en pointillé car même si Jones n’est plus à bord du navire anglais, son envie de piloter n’est plus la même. Il annoncera lui aussi sa retraite sportive avant de revenir sur sa décision quelques semaines plus tard. Deuxième à Kyalami avant d’abandonner sur accrochage à Jacarepagua, il finira par définitivement raccrocher le casque au bout de deux grands-prix, triste fin pour celui qui se voyait digne descendant du maestro Fangio.
Avec douze victoires, quarante-cinq podiums, six poles et autant de meilleurs tours en course, Carlos Reutemann apparaît peut-être comme le meilleur pilote à ne jamais avoir été champion. Plus faible psychologiquement que ses adversaires, il aura souvent démontré une envie de bien faire, ponctuée d’un pilotage clair et précis, faisant de lui un vrai métronome lorsque la voiture performait. Les raisons de son départ rapide sont inconnues mais plusieurs hypothèses restent probables, à commencer par les tensions ingérables chez Williams mais aussi par des questions politiques extérieures entre l’Argentine et la Grande-Bretagne. La politique qui deviendra son terrain de jeu par la suite, devant un acteur important de son pays avec notamment une place de gouverneur de la province de Santa Fe. Il restera l’un des personnages emblématiques de son pays jusqu’à sa mort en 2021. Jamais l’Argentine n’avait été aussi proche de retrouver le succès en Formule 1 après Fangio mais ses trop nombreuses querelles entre équipes et équipiers, ses mauvais choix de carrières et sa trop grande fragilité face à la pression auront eu raison de cet homme singulier qui aurait largement pu devenir le Fangio des temps modernes…
Carlos Reutemann en chiffres...
Meilleur classement en championnat du monde F1 :
2e (1981)
Grands-prix :
146 (147 engagements)
Victoires :
12
Podiums :
45
Poles Position :
6
Meilleurs Tours :
6