Patrick Depailler
Un personnage attachant à la carrière brisée au plus mauvais moment, tel est le résumé de l’aventure de Patrick Depailler.
Dans les années 60, la France n’est que peu représentée à haut niveau. Pourtant, les catégories inférieures ne désemplissent pas, accueillant un panel de pépites impressionnantes. Patrick Depailler fut l’une d’entre elles. Pourtant, rien ne le prédestinait à devenir pilote de course. Comme le souhaitait son père, le jeune clermontois dut se pencher et réussir ses études de prothésiste, qu’il réussira avec brio. Mais le jeune homme n’est pas du genre à rester en place. Il profite de la vie, s’adonnant à toute activité pouvant lui procurer un sentiment de liberté, de puissance. C’est ainsi qu’il se tourna vers les sports mécaniques, d’abord sur deux roues, avant de se pencher vers la monoplace et la Formule 2. Sa proximité avec le circuit de Charade ne faisait que l’encourager à poursuivre dans cette voie mais après plusieurs années, le succès n’est toujours pas au rendez-vous. Repéré par plusieurs Formules de promotion, il participe, en 1966, au volant Shell. Face à lui, un autre grand espoir tricolore lutte pour la gagne, François Cevert. C’est finalement ce dernier qui l’emportera, voyant ses chances de grimper en catégorie reine se démultiplier. Patrick Depailler se révèle enfin lors du Tour de France auto en 1970, remportant la classique en étant associé à deux légendes des sports automobiles : Jean-Pierre Beltoise et Jean Todt. Sa carrière prend enfin de l’élan et en 1971, il conquiert ses premiers lauriers en décrochant le titre de champion de France de Formule 3 avec en prime, une splendide victoire lors du grand-prix de Monaco. Ce succès sera son réel tremplin vers son ultime challenge : la Formule 1. Sponsorisé par Elf, le jeune auvergnat se voit proposer une opportunité en or pour tous pilotes : deux courses sur une Tyrrell pour prouver sa place parmi les meilleurs. Pari réussi.
Et c’est chez lui, au grand-prix de France, sur le circuit de Charade, que sa carrière en Formule 1 va véritablement débuter. Face aux deux pilotes de l’équipe, Stewart et Cevert, Depailler sait d’avance qu’il ne pourra pas lutter mais une bonne course pourrait lui être de bonne augure pour la suite. Malheureusement, une crevaison et un problème de suspension l’obligeront à terminer très loin des leaders. Son deuxième meeting à Watkins Glen sera bien meilleur avec la septième place finale. Dans le même temps, le français retourne dans les catégories inférieures pour y amasser de l’expérience. Etonnamment, malgré sa rapidité et son pilotage exemplaire, il échoue à sept reprises au pied de la première marche, un fait qui lui sera plus que courant tout au long de sa carrière. Mais fin 1973, gros coup dur pour Tyrrell. Alors que Stewart annonce quitter la Formule 1, Cevert se tue à Watkins Glen pour la dernière de l’année. Avec deux baquets vides, Ken Tyrrell doit vite trouver deux pépites et l’un d’entre eux ne lui est pas inconnu. En effet, Depailler est choisi pour piloter à plein temps les machines bleues à compter de 1974. A ses côtés, le jeune talentueux mais fougueux Jody Scheckter est recruté. Les deux hommes ont alors la rude tâche de maintenir au premier plan une écurie habituée aux places d’honneur depuis son arrivée dans la discipline quelques années auparavant. En Argentine, pour l’ouverture de la saison, il accroche son premier point avec la sixième place avant de terminer quatrième en Afrique du Sud. En Suède, il crée la surprise en décrochant la pole position, devenant ainsi le premier français à réaliser cette performance en grand-prix. En course, les Tyrrell sont au-dessus du lot mais c’est finalement Scheckter qui l’emporte. L'auvergnat n’aura pas démérité une seconde, s’adjugeant la deuxième place finale. Mais au fur et à mesure que la saison avance, et malgré l’apparition des 006 et 007, les performances stagnent, au contraire de son équipier sud-africain, de nouveau vainqueur en Grande-Bretagne. Depailler semble avoir du mal à faire évoluer ses réglages et pour cause, sa maîtrise de l’anglais est encore trop approximative. Reste que sur la piste, son pilotage doux et propre économise la mécanique mais l’écart avec l’autre Tyrrell reste important. Alors que Scheckter joue le titre jusqu’au bout, le français nage en fond de top 10. Pour sa première saison complète, le résultat est mitigé.
Et les choses ne s’arrangent guère en 1975. Et pour cause, Ken Tyrrell mûrit un bien étrange programme pour les années futures. De ce fait, les deux pilotes ressortent du garage la 007, là où Ferrari dessine la fabuleuse 312 T. Les résultats sont sans appel. Et pourtant, Patrick Depailler se montre de plus en plus à l’aise avec sa monture, son équipe et la langue de Shakespeare. Cinquième à Buenos Aires, puis troisième à Kyalami, le français démarre plutôt bien. En Espagne, sur le terrible circuit de Montjuïc, le pilote Tyrrell est pris dans l’accrochage du départ. Suspension cassée, il ne pourra prendre part au second envol, tragique cette fois-ci. A Monaco, il profite d’une piste détrempée pour remonter dans le classement et tenir la deuxième place avant de stopper pour les slicks en fin d’épreuve. A quelques minutes des deux heures maximales de course, l’auvergnat lutte pour le gain de la cinquième place face à la Hesketh de James Hunt. Bien que les dépassements sont difficiles, il plonge à Mirabeau, profitant d’un petit trou de souris laissé par son adversaire. Si la Tyrrell passe et continue sa route, la monoplace blanche de l’anglais frappe les rails. Très énervé, son pilote ne manque pas de lever le poing en signe de colère au passage suivant du français, nullement déconcentré par cette menace. En Belgique, sur le tracé de Zolder, Depailler enregistre une nouvelle belle remontée, passant de la douzième à la quatrième place. Mais en Suède, c’est tout l’inverse qui se produit. Sur une piste appréciée des Tyrrell, il parvient à se qualifier deuxième, juste derrière l’étonnant Brambilla. Durant les treize premiers tours, les deux leaders ne se lâchent pas d’une semelle. Un bon résultat semble se profiler pour le clermontois quand tout-à-coup, son stand le rappelle. Une importante fuite de liquide de frein touche la Tyrrell. Les espoirs de bien figurer sont anéantis. A partir de ce rendez-vous, Depailler sera complètement dépassé. Seulement neuvième à Zandvoort après un accrochage au départ, il réintègre le top 6 et les points pour la dernière fois de l’année en France, au Castellet. Dès lors, il ne visitera plus la zone des points durant les cinq derniers meetings. A Silverstone, il est classé neuvième malgré son accident provoqué par la pluie diluvienne dans les derniers instants de course. A la porte des points à Monza, il termine sa campagne dans les grillages de Watkins Glen suite à un accrochage avec Mass. Sa saison 1975 est loin d’être réussie et Ken Tyrrell l’a bien remarqué. Ainsi, Oncle Ken aurait envisagé la venue de Jacques Laffite pour compléter ses rangs à partir de 1976 avant de revenir sur sa décision. Ouf, Patrick Depailler pilotera bien les prochaines voitures bleues.
Et quelles voitures que les Tyrrell de 1976 et 1977. S’il y a bien une monoplace qui aura marqué la discipline à cause de son look, c’est bien la P34 et ses six roues ! Cependant, la nouvelle machine n’est pas encore vraiment terminée à l’entame de saison, obligeant le team anglais à remettre en piste ses 007 vieillissantes. Étonnamment, le français se montre plutôt véloce, ramassant deux podiums en trois épreuves, marquant quasiment autant de points que sur toute la saison écoulée. Puis arrivent les premiers tours de roues en grand-prix de la curieuse machine, à Jarama, en Espagne. Seul Depailler l’utilise lors de ce premier meeting, Scheckter éprouvant un certain dégoût pour cette drôle de bête. Et pour cause, le clermontois s’est beaucoup investi dans ce projet, apportant pour la première fois son ressenti et ses améliorations. Avec ses réglages bien précis, le pilote Tyrrell prend confiance en lui et en sa machine, ce qui opère merveilleusement bien. Pour sa première qualification, le français réalise un impressionnant troisième temps mais cette performance ne sera pas convertie le dimanche, un accident suite à un problème de frein. Après une casse moteur en Belgique, l’auvergnat démontre tout le potentiel de la P34 à Monaco, ralliant l’arrivée en troisième place, juste derrière son équipier Scheckter. La six roues se montre encore plus performante À Anderstorp, tracé qui aura toujours bien réussi aux Tyrrell. Sur une piste sans adhérence, les machines bleues sont imbattables mais une fois encore, c’est le sud-africain qui mène la danse. Pour la seule fois de l’histoire, une monoplace de plus de quatre roues remporte un grand-prix et réalise même le doublé puisque Dépailler assure la deuxième place. Scheckter a beau détester sa monture, elle lui offre de beaux résultats. En France, le clermontois réalise une course solide, échouant une nouvelle fois en deuxième place, derrière le futur champion Hunt. Mais la belle série du français connaît un coup de revers. A Brands Hatch, au Nürburgring puis sur l’Österreichring, il n’inscrit aucun point. Ce n’est qu’à Monza qu’il retrouve enfin des couleurs et des points. Au Canada, il tient coûte que coûte la seconde place après une rude bataille avec Hunt et ce, alors qu’une importante fuite d’essence dans son baquet le brûle et l’enivre atrocement. A Fuji, pour la dernière de l’épique saison, il mène ses premiers tours en course sous la pluie battante avant de finalement s’incliner derrière Andretti sous le drapeau à damier. Cette première victoire se refuse toujours à lui. Ainsi espère-t-il tirer son épingle du jeu en 1977, notamment face à la nouvelle recrue de Ken Tyrrell, Ronnie Peterson. Hélas, la P34 est passablement retouchée pour 1977 et les résultats en pâtissent. Pour autant, Depailler se dévoue corps et âme dans l’amélioration de sa monture, travaillant comme jamais auparavant. Son travail paie en entame de saison avec la troisième place à Kyalami et la quatrième à Long Beach mais les ennuis commencent à s'accumuler rapidement. La non fiabilité du V8 Cosworth et le non-développement des petites roues à l’avant finit par coûter cher à la P34 mais le français y croit encore. Son remplacement est pourtant inévitable mais l’auvergnat continue de se battre pour en tirer toute sa quintessence. Au Canada, il menace son ex-équipier pour la gagne, ne recevant que les lauriers de la deuxième place. Il réitèrera cet exploit, bien qu’un rang plus bas, à Fuji en fin d’année, pour récolter l’ultime podium de la bête à six roues. La drôle de monoplace ne reviendra plus et ce, malgré les efforts désespérés de son pilote pour la ramener sur le devant de la scène.
En 1978, l’équipe fait appel à une voiture plus conventionnelle, la Tyrrell 008 à quatre roues. Après avoir farouchement dominé son équipier Peterson sur la P34, Depailler se retrouve confronté à une nouvelle pépite française nommée Pironi. En Argentine, pour la première manche de la saison, il se qualifie en milieu de peloton mais comme à son habitude, c’est le jour du grand-prix qu’il performe. Avec sept positions de gagnées, il grimpe sur la troisième marche du podium, de bonne auspice pour la suite de la saison. Trahi par ses freins au Brésil, il retrouve le devant de la scène à Kyalami, profitant de l’abandon tardif de l’Arrows de Patrese pour prendre le leadership à quelques boucles du but. La première victoire est enfin entrevue mais derrière lui, son ex-équipier suédois remonte comme une balle avec sa Lotus. Le français défend comme il peu dans le dernier tour mais rien à faire, il doit s’incliner face à Peterson à quelques mètres de la ligne d’arrivée. Cette satanée victoire n’arrivera donc jamais. Un nouveau podium plus tard à Long Beach, le voici à Monaco pour le traditionnel rendez-vous en principauté. Bien placé sur la grille, il profite de la confusion aux avant-postes pour se porter en seconde position, derrière Watson. Mais dans les retardataires, l’anglais commet une erreur, profitant bien entendu au pilote Depailler. Cette fois-ci, rien ne peut plus l’arrêter. Et c’est ainsi, après soixante-neuf tentatives, que le français décrocha enfin ce premier succès qui ce sera tant refusé à lui. Mieux encore, il caracole désormais en tête du championnat, cinq points devant Andretti et Reutemann. L’espoir d’un titre en fin d’année commence à se raviver chez le clermontois mais au final, il n’en fut rien. En plus de l’entrée en piste de la fabuleuse Lotus 79, la fiabilité n’est plus au rendez-vous sur la 008. A Zolder, Jarama, Anderstorp puis au Castellet, c’est l’abandon. Le chemin des points n’est retrouvé qu’à Brands Hatch mais il est déjà trop tard, les gros bras se sont envolés. Deuxième en Autriche, il ne pourra jamais sauver cette saison qui avait fortement bien débutée. Les ennuis se multiplient, les points perdus se comptent par dizaine. Il acheva cette campagne avec une cinquième place au Canada, lui assurant la cinquième position finale au classement des pilotes, une de plus que son meilleur résultat en 1976. Peut-être que le moment de changer d’air est venu pour le français. Et c’est ce qui se passa dès 1979 avec son arrivée chez les bleus de Ligier.
Et quelle aventure française. Associé à l’autre grand pilote français de l’époque, Jacques Laffite, Depailler à ici la possibilité de faire les choses en grand. Avec le réel boom des voitures à effet de sol, c’est toute la Formule 1 qui se réinvente, y compris l’écurie de Guy Ligier. Et, alors que Lotus maîtrisait à merveille cette nouvelle technologie, c’est finalement l’équipe française qui réalisa le meilleur travail. Aux qualifications, les bolides bleu clair réalisent un sans-fautes, bloquant, pour la première fois de l’histoire, la première ligne 100% française. La JS11 marche à merveille et les deux hommes se dirigent vers le doublé, dans l’ordre Laffite - Depailler, mais à quelques tours du but, l’allumage fait défaut au second, l’obligeant à passer vite fait aux stands pour réparer. Il achèvera ce grand-prix en quatrième position. Au Brésil, l’histoire se répète mais la mécanique tient le coup et comme au départ, les Ligier sont 1 et 2 sous le drapeau à damier, dans le même ordre qu’à Buenos Aires. Laffite semble prendre l’ascendant sur son nouvel équipier mais le championnat ne fait que commencer. A Kyalami, les françaises sont pourtant en-dedans, marquant le pas face à des Ferrari et Renault en grande forme, tout comme à Long Beach pour la manche suivante. Mais à Jarama, Depailler renverse la tendance, résistant à son équipier, finalement malchanceux, pour s’adjuger sa seconde victoire en carrière, le propulsant, à égalité de points avec Villeneuve, en tête du championnat. Le rêve français est en marche, le coup de massue, lui, est très violent. Accidenté en Belgique puis moteur cassé à Monaco, le clermontois perd gros avant la mi-saison, là où les hideuses 312 T4 de la Scuderia performent comme jamais. Avant le grand-prix de France, disputé sur le circuit de Dijon-Prenois, Patrick Depailler décide de se ressourcer dans son Auvergne natale, profitant du cadre pour s’adonner à un autre de ses plaisirs, le deltaplane. S’il est expérimenté, il n’aurait sans doute jamais imaginé s’écraser à flanc de volcan avec son engin. Ses deux jambes sont cassées, sa carrière de pilote incertaine. Lui qui aimait tant vivre dangereusement venait de laisser passer sa plus belle carte pour jouer le titre en fin de saison. Sa convalescence doit durer deux ans selon les médecins, hors de question pour l’auvergnat. Si sa saison 1979 est gâchée, il prévoit son retour pour 1980. Ligier, qui s’est finalement inclinée face aux Ferrari, lui propose un contrat de pilote numéro deux, ce que le français désapprouva. Pour lui, hors de question de jouer les porteurs d’eau, lui veut jouer la gagne, seul. C’est ainsi qu’il débarqua, en 1980 et en béquilles, chez Alfa Romeo. La 179 est certe rapide sur un tour, sa fiabilité est catastrophique. Et pourtant, comme à l’époque de la P34, Depailler s’adonna à fond à la mise au point de la bête italienne, lui faisant augmenter considérablement ses performances en quelques meetings, sans pour autant trouver la clé de la fiabilité. Brillant troisième sur la grille de Long Beach, il renonça, comme tous les autres grands-prix de l’année, sur souci mécanique. La mise au point de la voiture est difficile mais les tests privés s'enchaînent. Deux semaines avant la course de Hockenheim, Alfa Romeo loue le circuit pour y pratiquer quelques essais avant le rendez-vous allemand. Tout se déroule sans accrocs jusqu’à 11h35, ce 1er Août 1980. Tout à coup, le silence plane sur le tracé allemand. La 179 venait de violemment quitter la piste à plus de 280 km/h. Patrick Depailler venait d’y laisser sa vie.
Les causes de l’accident sont toujours inconnues. Un malaise, un bris mécanique, la casse d’une jupe pour l’effet de sol, nombreuses sont les hypothèses. Reste que la Formule 1 venait de perdre l’un de ses meilleurs pilotes, un metteur au point hors-pair qui aimait s’éclater sur et hors des circuits. Jamais il ne s’élançait sans cigarettes sur lui, au cas où sa monture s’arrêterait loin des stands. Patrick aimait prendre du bon temps et vivre des sensations fortes. Son retour, étonnant et trop rapide pour certain, fut la preuve de la ténacité de ses nerfs d’acier jamais touché et de sa force de caractère le menant sur la bonne voie du sacre en 1979. Comme un signe du destin, c’est Jacques Laffite qui remporta le grand-prix d’Allemagne, une course que “Jacquot” ne voulait absolument pas gagner...
Patrick Depailler en chiffres...
Meilleur classement en championnat du monde F1 :
4e (1976)
Grands-prix :
95
Victoires :
2
Podiums :
19
Poles Position :
1
Meilleurs Tours :
4