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Jackie Stewart

Une casquette, des rouflaquettes et un tartan écossais sur son casque. Nul doute à avoir, c’est bien Jackie Stewart.

Comme beaucoup de jeunes hommes de l’époque, l’histoire de Jackie Stewart débute loin de la compétition automobile, du moins, pour lui. Son frère Jimmy concourt dans plusieurs épreuves mais de gros accidents obligent son père, propriétaire d’une concession Jaguar, à mettre une halte pour préserver la santé de ses fils. C’est donc carabine en main que l’écossais se fait d’abord remarquer, passant tout proche d’une qualification pour les Jeux Olympiques de 1960. Dans le même temps, alors qu’il délaisse l’école à cause de sa dyslexie, le jeune Stewart travaille pour le compte du garage familial. Là, il y fait la rencontre de Barry Filer, l’un de ses clients, amateur de belles mécaniques et de pilotage. Rapidement, les deux hommes s’entendent et lors de ses sorties sur circuit, Jackie devient mécanicien officiel. Mieux encore, Barry lui propose de prendre le volant de certaines de ses machines, notamment à Oulton Park, théâtre de l’une de ses premières victoires. Ce jour-là, un certain Ken Tyrrell était aux abords de la piste anglaise. Fasciné par son coup de volant, Oncle Ken n’hésite pas une seule seconde à l’approcher, quitte à rapidement l’engager en Formule 3 avant que la concurrence ne le repère. Tout de suite à l’aise en monoplace, il monopolise les premiers rangs, empochant pas moins de sept succès en dix meetings dans le championnat anglais et pas moins de trois dans l'hexagone. Ses prestations sont si impressionnantes que le débutant est assailli de tout part pour rouler en catégorie reine alors qu’il n'a débuté la monoplace que depuis quelques mois ! Lotus parvient à lui mettre la main dessus pour le plonger dans le grand bain de la Formule 2, tout en lui proposant quelques essais, notamment sur la fabuleuse Lotus 33 de son compatriote Jim Clark. Si les résultats sont encourageants, Jackie ne veut pas sauter les étapes et refuse plusieurs contrats de Formule 1 pour 1964 afin de parfaire son expérience. Aussi à l’aise derrière le volant de petits bolides que de grosses Ferrari ou Jaguar en endurance, l’écossais devient, en quelques semaines, la future révélation d’un sport déjà sous l’emprise de l’hégémonie anglaise. Rien d’étonnant à ce qu’à la fin de cette folle année 1964, une première tentative hors-championnat lui soit proposée…

Le 12 Décembre, à bord d’une Lotus 33, Jackie Stewart s’aligne pour la première fois sur une grille de départ de Formule 1 pour le compte du championnat sud-africain, à Kyalami. Si c’est l’abandon qui le guette pour cette première sortie, le ton est donné. L’écossais débarque donc, dès 1965, dans le très relevé championnat du monde de Formule 1, chez BRM. Associé à Graham Hill, le jeune prodige n’a qu’une idée en tête : briller dès ses débuts. Son franc-parler, qui deviendra iconique au fil du temps, en étonne certains, pas toujours habitués à ces prises de parole dans ce monde de gentlemen respectés. D’emblée, sa pointe de vitesse se remarque et sur le tracé d’East London, il accroche son premier point officiel. Quelques mois plus tard, il s’affirme davantage en remportant la deuxième place de la “Race of Champions” et la victoire au “BRDC International Trophy”, la plus célèbre épreuve hors-championnat de F1. Très vite, sa notoriété grimpe en flèche, les performances aussi. Troisième au grand-prix de Monaco, deuxième sous le crachin de Spa-Francorchamps et deuxième à Clermont-Ferrand, rien ne semble l’arrêter, à part peut-être le grand Jim Clark et sa tournée triomphale. Après quatre rendez-vous, il pointe en troisième place au classement général, à égalité de points avec son illustre équipier Hill. Cinquième chez les siens, il regoûte aux joies du podium avec la deuxième place, derrière l’autre écossais, à Zandvoort avant de connaître son premier abandon sur le terrifiant Nürburgring. La couronne est déjà empochée par le pilote Lotus mais pour une première saison et avec le peu de kilométrage sous le pied, Stewart s’en sort drôlement bien. Il raflera même la mise à Monza, pour son huitième départ en catégorie reine. Parti depuis la troisième position, le pilote BRM caracole en tête, luttant férocement face au nouveau double champion et à son équipier moustachu. Si la bataille à trois tourne au duel entre pilotes de la même écurie, Jackie ne baisse pas les bras et à trois tours du terme de l’épreuve, il scelle son destin. Premier sous le drapeau à damier, qui aurait pu le croire un an auparavant ? Les lauriers sont mérités. Tous les observateurs s’accordent à dire que ce drôle de personnage est incontestablement un champion en devenir. Si les deux sorties américaines se soldent par des retraits involontaires, le jeune prodige peut être fier. Troisième du championnat pour sa première année dans la discipline, voilà une statistique peu commune. Pour bien débuter la campagne suivante, l’écossais foule les circuits d’Océanie, empochant le titre devant ses rivaux Clark et Hill, simples spectateurs des prouesses du jeune loup. Si les espoirs sont grands pour 1966, Stewart déchante bien vite. Avec son H16, un moteur à l'architecture étonnante, BRM ne joue plus aux avant-postes, du moins, dès que le V8 est abandonné. Dans les rues de Monaco, c’est bien lui qui s’impose, dominant de la tête et des épaules ce grand-prix phare. Quelques jours plus tard, il s’illustre lors des 500 Miles d’Indianapolis, menant une bonne partie de l’épreuve avant de renoncer à deux petits tours du but sur pression d’huile, laissant Graham Hill accrocher ce succès chanceux à son palmarès. Le retour en F1 au grand-prix de Belgique ne sera pas non plus de tout repos. Sous la pluie battante, le pilote BRM perd le contrôle de sa P261, tout comme ses équipiers Hill et Bondurant. La monoplace noire tape et se retourne, retenant prisonnier son malheureux propriétaire. Rapidement, le réservoir percé laisse s’échapper de nombreux litres d’essence, brûlant le malheureux, coincé sous cette bombe à retardement. Étonnement, c’est le champion 1962 qui lui viendra en aide, empruntant quelques outils à une ferme voisine pour le dégager. Vite pris en charge à l’hôpital malgré une ambulance perdue sur son chemin, Stewart souffre tout de même d’une omoplate cassée et de sévères brûlures, ce qui le contraindra à manquer le grand-prix français. Cet accident ne sera pas sans conséquences pour lui et le sport automobile en général puisqu’il en découlera une vaillante campagne de sécurisation des circuits grâce à son impulsion. De retour à la compétition pour son rendez-vous à domicile, il ne connaîtra pas la même réussite qu’en 1965, la faute à une nouvelle monture trop peu fiable et performante pour jouer les premiers rôles. Ses succès lors des 12 Heures de Surfers Paradise sur une Ferrari 250 LM et à Fuji pour la seule manche hors-championnat de l’USAC resteront sans suite. L’année est à oublier mais 1967 ne sera guère plus réjouissante. Le H16 se révèle être fragile comme du verre. Le drapeau à damier ne lui sera visible qu’à deux reprises, une fois en Belgique avec la deuxième place, et une autre en France, un rang plus bas. Malgré quelques petits succès en voiture de sport, en Formule Tasman ou en Formule 2, pour le compte de Tyrrell, Stewart ne peut jouer les titres mondiaux. Seule consolation pour lui : la présence d’un camion médical sur tous les circuits. L’évolution de la sécurité n’est certes pas flagrante mais touche par touche, l’écossais appose sa main sur la Formule 1…

Un changement de crèmerie doit s’opérer et c’est sous les couleurs de Matra que l’écossais trouve refuge. Même si la présence en sport-proto du constructeur français empiète largement sur la F1, les petites machines bleues sont plutôt performantes, surtout lorsque l’increvable V8 DFV Ford-Cosworth y est couplé. Supervisée par Ken Tyrrell lui-même, l’équipe sait être sur les droits chemins pour mener Stewart dans le haut de tableau. Cette année-là, il ne sera concentré presque que sur la Formule 1, effectuant quelques petites excursions en F2 par-ci par-là. Surtout, il devient l’ambassadeur de plusieurs marques, dont Ford, pour en vanter les produits. Il est d’ailleurs le premier pilote à s’afficher ainsi, devenant ainsi égérie mais aussi consultant dans divers secteurs. Cette charge de travail supplémentaire pourrait en perturber plus d’un, mais pas Jackie Stewart. En Afrique du Sud, c’est sur une MS9 kaki que l’écossais affronte ses plus sérieux concurrents. Sa bonne prestation du jour ne sera pas récompensée mais l’avenir semble des plus radieux avec la nouvelle MS10. Malheureusement pour lui, un accident lors des essais du grand-prix de Madrid de Formule 2 le cloue loin des circuits pendant deux longs mois, laissant échapper une probable chance de couronne. Entre-temps, son grand ami Jim Clark a trouvé la mort à Hockenheim. Effondré par ce drame, Stewart n’éprouve pourtant pas le souhait de quitter le monde des sports motorisés, bien que la sécurité qu’il défend tant soit toujours grandement absente. Ce n’est qu’au mois de Juin que le nouveau pilote Matra refait surface au volant, à Spa-Francorchamps. Sa belle bleue tient la route et la victoire se profile sur cette piste qu’il déteste tant mais au moment d’aborder le dernier tour, le V8 Cosworth se coupe. Le réservoir est vide, une bien cruelle issue pour une course si rondement menée. Mais cette déconvenue est très vite oubliée et dans les dunes de Zandvoort, le voilà de retour sur la plus haute marche du podium, une première pour le constructeur tricolore. Troisième en France puis sixième à Brands Hatch, l’écossais se replace de manière inattendue au championnat. Sur le Nürburgring, il use de son talent sur piste humide pour récolter une incroyable victoire avec pas moins de quatre minutes d’avance sur son dauphin, Graham Hill. L’anglais, qui le devance au classement général, voit son écart fondre comme neige au soleil. Aucun des deux hommes ne verra l’arrivée à Monza, ce qui n’est pas sans déplaire à un autre Jacky, Ickx en l'occurrence, pour s'immiscer parmi ce duo. Au Canada, sur le nouveau tracé de Mont-Tremblant, une suspension défaillante lui fait perdre sept tours mais sous l’impulsion de Ken Tyrrell, les mécaniciens renvoient la monoplace bleue en piste, permettant à leur pilote d’arracher le point de la sixième place. En s’imposant à Watkins Glen, Stewart ne pointe plus qu’à trois petits points de Hill avant la dernière manche au Mexique. Les deux hommes se livrent un âpre duel lorsque peu après la mi-course, la mécanique ne vienne sceller son sort. Contraint de ralentir pour voir la ligne d’arrivée, l’écossais laisse filer l’anglais vers son deuxième sacre mondial. Quel aurait été le résultat s’il n’avait pas été absent en entame de saison ? Quoi qu’il en soit, c’est plus affuté que jamais que le vice-champion 1968 aborde cette nouvelle année de compétition. La nouvelle MS80 et ses hauts ailerons porte toujours le V8 américain, bien que le constructeur français planche activement sur un V12 que refuse, jusqu’à présent, Oncle Ken. Pour l’ouverture de saison à Kyalami, Stewart réalise l’opération parfaite, sautant de sa quatrième place sur la grille pour caracoler en tête jusqu’au drapeau à damier. Cette victoire en appellera bien d’autres cette année-là, à commencer en Espagne, sur le redouté circuit de Montjuïc. Si le pilote Matra s’affiche sur la plus haute marche du podium, la réjouissance n’est pas au rendez-vous. La performance n’était pas là et ce n’est que grâce aux abandons sur bris d’aileron de Rindt, Hill et Ickx, et à la casse moteur d’Amon, que l’écossais glane neuf nouveaux points. Les appendices aérodynamiques apparues il y a peu, seront d’ailleurs sujettes à un grand débat sécuritaire tant leur fragilité est décriée par tous. S’ils sont tout bonnement retirés à Monaco, cela n’empêche pas le leader du championnat de signer sa première pole position en carrière. Malheureusement, un cardan défectueux aura raison de son grand-prix mais qu’importe, le favori, c’est lui. La crise sécuritaire qui secoue la Formule 1 prend une nouvelle tournure en ce mois de Juin 1969. Suivi par le GPDA, Stewart pousse à l’annulation du grand-prix de Belgique à Spa-Francorchamps. Les routes de campagne sont inadaptées pour des voitures si puissantes et les organisateurs n’entendent pas modifier quoi que ce soit. Face à la pression grandissante et au consortium des pilotes, l’épreuve est définitivement supprimée du championnat du monde. Le chemin victorieux de l’homme aux rouflaquettes reprend de plus belle à Zandvoort, brillant vainqueur après les déboires de la Lotus de Rindt. Le couvert est remis en France, sur l’interminable tracé de Charade, puis à Silverstone, au terme d’une lutte de tous les instants face à Rindt et sa Lotus 49B. L’écart au classement est colossal et personne ne semble en mesure de contrer le pilote Matra, as des as en cette année 1969. Deuxième sur le Nürburgring dans un week-end marqué par un nouveau décès, Jackie Stewart aborde le grand-prix d’Italie en grand prétendant pour la couronne mondiale. Dépourvue de ses ailerons qui la ralentissent, la Matra MS80 fuse dans la campagne lombardienne. La course est épique car entre l’écossais, Rindt, Hill, Beltoise, McLaren ou Courage, les dépassements vont de bon train. Les hommes se passent et se dépassent au rythme des aspirations jusqu’à la ligne d’arrivée. En sortie de Parabolica, le français prend la tête mais un freinage trop tardif l’envoi sur la mauvaise trajectoire. C’est donc à une épreuve de dragster que se livrent la Matra et la Lotus de l’autrichien, finalement battue pour huit petits centièmes, le plus petit écart jamais enregistré à ce moment-ci. Les neufs points de la victoire assure à Jackie Stewart une place dans le panthéon des champions du monde de la Formule 1. A trente ans, le petit prodige de la discipline devient le digne successeur de son ami, le regretté Jim Clark. Si son pilotage est fluide et sans extras, sa persévérance et son talent le pousse à toujours donner le meilleur de lui-même. Après un accrochage avec Ickx au Canada et une casse moteur aux Etats-Unis, le récent champion entame sa dernière sortie sur la machine française à Mexico, quatrième. Fait exceptionnel : il aura mené au moins un tour lors de chaque meetings, seul pilote, encore aujourd’hui, à tenir cette statistique. Fervent défenseur du V8 Ford, lui et Tyrrell ne veulent pas du nouveau V12 tricolore. Une autre option doit être trouvée pour continuer mais laquelle ?

Sans réelles options, le clan des deux hommes se range derrière la nouvelle venue, March. Si les premiers essais ne sont pas probants, la surprise est de taille lorsque le champion sortant sécurise la pole position d’entrée de jeu à Kyalami. Si la victoire lui échappe le lendemain au profit de Brabham, Stewart prend la troisième place finale. La monoplace ne lui convient pas vraiment mais pour autant, cela ne lui empêche pas de remporter la “Race of Champions” à Brands Hatch puis le grand-prix d’Espagne pour la deuxième sortie officielle de sa machine. Certes, le triomphe est sien mais un nouvel incident grave remet en marche ses revendications pour une sécurité améliorée. Elles seront à nouveau mises sur la table à Spa-Francorchamps où, après un problème moteur à Monaco et le décès brutal de McLaren à Goodwood, l’écossais réexprime son mécontentement face au retour de l’épreuve belge au calendrier. Malgré une nouvelle pole, il renonce une seconde fois de rang sur problème moteur avant de retrouver le chemin du podium à Zandvoort, pourtant très touché par la mort de son ami Courage. Bien parti pour doubler la mise, Stewart admet que rester en lutte pour le championnat risque d’être compliqué dans une machine n’évoluant que très peu. Enfin, ce que l’écossais attend, c’est l’arrivée officielle d’une nouvelle machine d’ici la fin de la saison. D’ici là, le champion 1969 ronge son frein, enchaînant abandon. Puis, à Monza, nouveau coup dur. Jochen Rindt se tue lors des essais libres. Comprenant rapidement la situation sur place, Jackie se rend immédiatement au chevet de la femme du défunt, à qui il apprend la terrible nouvelle. La course ne s’arrête pas pour autant mais le cœur n’y est pas, même avec la deuxième place. Cette dernière sortie européenne représente également la fin pour l’épopée March, remplacée par la Tyrrell 001 en Amérique du Nord. Cette nouvelle monoplace, conçue autour de l’écossais, se révèle très vite comme l’arme absolue. Premier grand-prix et première pole position. Ken Tyrrell est aux anges et même si la fiabilité fait encore défaut, ces défauts de jeunesse devraient être gommés d’ici 1971. En trois rendez-vous, Stewart ne verra pas l’arrivée mais au moins est-il fixé sur le potentiel de sa machine bleue. Cela se confirme avec la pole position à Kyalami et la deuxième place sous le drapeau à damier, uniquement devancé par un étonnant Mario Andretti. Associé à François Cevert depuis l’année passée, l’écossais sait que toutes les cartes sont entre ses mains et que le favori, c’est lui. Il n'en n’oublie pourtant pas ses préoccupations sécuritaires, qui mèneront à une nouvelle annulation du grand-prix de Belgique, ni à ses obligations d’ambassadeurs pour Ford ou Elf entre autres. A partir de la manche espagnole, Tyrrell lui offre la 003, une grosse évolution de sa devancière que le paddock entier lui jalousera. Ce bijou lui octroie un premier succès depuis un an, le tout premier pour le compte de l’écurie Tyrrell. Il réédite l’exploit à Monaco, au Castellet, à Silverstone et au Nürburgring, prenant rapidement le large au championnat, comme il l’avait fait en 1969. Pour ajouter encore plus de difficulté, il s’autorise une participation en Can-Am sur une Lola du team de Carl Haas. Face aux redoutables prototypes McLaren, il réussit à s’imposer à deux reprises, terminant finalement troisième derrière Hulme et Revson. D’ailleurs, lors du précédent week-end monégasque, il s’associe à Roman Polanski pour le tournage d’un film, le fameux “Week-end of a champion”. Durant toute l’épreuve, le réalisateur suit au plus près l’écossais, de son arrivée sur le circuit à sa victoire le dimanche. Le titre lui tend les bras si bien que sur l’Ӧsterreichring, alors qu’il abandonne suite à la perte de l’une de ses roues, tout n’est qu’une simple formalité. Sans victoire d’Ickx ou de Peterson, le voilà officiellement auréolé d’une seconde étoile mondiale à bord d’une voiture à peine âgée d’un an ! L’exploit est retentissant et beaucoup se demandent où Stewart s’arrêtera-t-il. L’avance prise par Tyrrell en cette année 1971 contrarie les grands constructeurs comme Ferrari, Matra ou Lotus qui ne peuvent qu’assister, impuissant, à l’hégémonie des bleus. Un ultime succès à Mosport, au Canada, viendra parachever cette grande saison, en attendant la prochaine, a priori prometteuse…

Et tout démarre sur les chapeaux de roues. Devant un public argentin entièrement dévoué à Reutemann, il caracole en tête du début à la fin, démontrant la supériorité de sa machine, pourtant âgée d’un an désormais. L’histoire pouvait se répéter à Kyalami mais sa boîte de vitesses ne tiendra pas la distance. Même sanction en Espagne où une casse de suspension l’envoi directement dans le décor. La chance du champion serait-elle passée ? En tout cas, le début de saison est délicat et rien ne va en s'arrangeant. Victime d’un moteur poussif à Monaco, il est contraint de déclarer forfait en Belgique à cause d’un ulcère, a priori provoqué par le stress de tous ses voyages. Il faut dire qu’avec 186 voyages au-dessus de l’Atlantique sur la seule année 1971, le corps fatigue plus que de raison. Le double champion écossais prend donc la sage décision de rester à quai pour revenir encore plus fort. Malgré une guérison rapide, les nouvelles ne sont pas les plus rassurantes. Juste avant le grand-prix de France, son ami Bonnier se tue lors des 24 Heures du Mans. Ce nouveau décès commence à sérieusement faire réfléchir l’écossais sur ses réelles intentions de continuer à piloter avec une telle notion de risque. Si les rails en acier deviennent légions sur la grande majorité des tracés, les voitures restent fragiles et un choc avec un mauvais angle peut tout de suite tourner au drame. Pour son grand retour au grand-prix de France pour une dernière danse à Charade, Stewart jouit de ses pneus renforcés pour aisément gagner, là où bon nombre de ses concurrents crèvent à tour de rôle à cause des petites pierres volcaniques disséminées tout autour du tracé. S’il se replace au championnat, l’écart de treize points qui le sépare de Fittipaldi commence à peser lourd dans la balance. Il n’ira d’ailleurs pas en diminuant après la manche anglaise à Brands Hatch, malgré une belle résistance sur le brésilien, finalement trop rapide sur sa Lotus noire et or. Une lutte qui tournera dans le mauvais sens sur le Nürburgring alors que le podium était scellé. Dans le dernier tour, l’écossais trouve enfin l’ouverture sur la Ferrari de Regazzoni mais le suisse ne baisse pas sa cadence et tente de reprendre sa position. Hélas, les deux monoplaces se touchent. La Tyrrell 003 est projetée dans les barrières. L’abandon est inévitable, les points perdus colossaux. L’Autriche n’apportera rien de bon non plus et ce, malgré l’arrivée de la nouvelle 005, déjà testée en essais auparavant mais sans réel succès. Pourtant, c’est bien le champion sortant qui chipe le leadership à Fittipaldi à l’abaissement du drapeau autrichien avant de prendre ses distances avec le reste du peloton. Mais petit-à-petit, sa monoplace bleue perd du terrain, encore et encore, laissant passer à tour de rôle le brésilien, Hulme, Revson, Hailwood, Amon, Ganley et Peterson. Ses derniers espoirs de tripler la mise sont quasiment envolés, sauf si la voie du succès est retrouvée en Italie et lors de la tournée américaine. A la demande du contingent des pilotes, le circuit de Monza est modifié. Deux chicanes sont implantées pour réduire les vitesses folles des monoplaces et les courses à l’aspiration. Si Stewart voulait lutter pour la gagne, c’est encore râpé. Dès le départ, son embrayage rend l’âme. Fort heureusement pour lui, toute la meute de fous furieux parvient à éviter sa Tyrrell immobilisée. A l’issue de ce dernier grand-prix Européen, son rival Emerson Fittipaldi glane le titre mondial, une formalité tant la Lotus 72D a dominé la saison. La 005 développée par le tandem Tyrrell - Gardner ne fait pas encore l’unanimité mais les évolutions semblent aller dans le bon sens. Ne reste plus qu’à concrétiser et espérer que la mécanique tienne le coup. L’air américain sera d’ailleurs plus propice aux bonnes occasions car à Mosport et Watkins Glen, l’écossais remporte tout. Ce retour en forme inattendu confirme les derniers progrès de sa monture. La guerre qui l’oppose à Lotus et Fittipaldi en 1973 devrait être palpitante jusqu’au dernier instant, d’autant qu’une nouvelle machine encore plus performante est déjà en préparation dans les ateliers d’Oncle Ken. Avec ce titre de vice-champion, Jackie Stewart se rappelle aux bons souvenirs de tous. Son talent, sa capacité d’analyse et sa douceur au volant ne sont que de bons ingrédients qui ne peuvent que le propulser toujours plus haut vers les sommets…

1973. On prend les mêmes et on recommence. Si le duel qui a marqué l’année écoulée devrait se représenter, les deux hommes auront fort à faire avec des équipiers plus véloces que jamais. Du côté de chez Tyrrell, François Cevert se montre de plus en plus en confiance avec son auto, même s’il reconnaît être intrinsèquement moins rapide que son illustre équipier. Pourtant, à l’arrivée du grand-prix d’Argentine, c’est bien le frenchy qui termine devant l’écossais, tous deux derrière l’intouchable Lotus de Fittipaldi. Le brésilien qui sera à nouveau à la fête chez les siens, devançant nettement le double champion, presque abattu par le manque de performances de sa 005. Ses propos se confirment lors des premiers essais en Afrique du Sud. Victime d’un gros accident, Stewart s’empresse d’utiliser la monoplace de son équipier pour tenter de se qualifier, ce qu’il fera, mais en seizième position seulement. Pourtant, le jour de la course, le pilote Tyrrell est métamorphosé. Après six tours, il est déjà leader ! Cette remontée fantastique n’est pourtant pas au goût de tous, à commencer par McLaren. Profitant du ralentissement du paquet pour respecter les drapeaux jaunes et éviter la voiture en flammes de Regazzoni, l’écossais double à tour de rôle Revson et Scheckter avant de s’échapper vers la gagne. Le roi de la sécurité venait de ternir son portrait de manière flagrante. Pourtant, il sera totalement blanchi et gardera sa victoire malgré les critiques de la concurrence. Le retour en Europe est l’occasion pour les équipes d’inaugurer leurs nouvelles machines. Chez Tyrrell, la 006, déjà aperçue à Kyalami avant l’accident des essais, est officiellement en piste. La première sortie redonne de l’espoir au clan anglais, même si une panne de freins contraint Stewart, alors deuxième, à renoncer peu après la mi-course. Cette déconvenue appartiendra bien vite au passé car à Zolder, puis à Monaco, le champion 1969 et 1971 reprend les commandes. De ce fait, il égalise le record de succès en Formule 1 jusque-là détenu par le regretté Jim Clark, et sa carrière est loin d’être terminée, du moins, c’est ce que l’on pense. Car en coulisses, Jackie songe à tout arrêter. Les voyages, la pression, la politique, cette guerre sans fin face à l’insécurité ne sont que des arguments qui le poussent à réfléchir sur son avenir. En Suède, les problèmes qui touchent sa machine le font rétrograder de trois rangs en quelques kilomètres, juste avant que le drapeau à damier ne soit brandi mais le principal n’est-il pas de réduire l’écart avec Fittipaldi ? Les deux adversaires ne sont séparés que par deux petites unités, à l’avantage du brésilien. Puis en France, c’est dans l’ordre inverse que la classement évolue. Stewart n’a peut-être qu’un point d’avance mais sa Tyrrell semble prendre l’ascendant sur la Lotus, bien que Peterson commence à se montrer de plus en plus menaçant. Le suédois qui, d’ailleurs, l’enverra dans le décor à Silverstone alors que l’écossais lui contestait la tête de l’épreuve. Très loin du compte sur ses terres, il ne perd cependant pas de terrain sur Fittipaldi, victime lui aussi d’un incident. Le brésilien qui compromet largement ses chances de deuxième couronne après une violente sortie de piste en essais à Zandvoort, le blessant aux chevilles. Presque débarrassé de son rival, Stewart n’a plus vraiment d’inquiétudes à avoir pour filer vers un troisième titre historique. Mais sa victoire en Hollande, qui le propulse en tête des statistiques concernant le nombre de succès, n’a rien de festif. Durant le grand-prix, Williamson meurt, brûlé vif dans sa March après une sortie de piste, sans qu’aucun commissaire ne vienne à son aide. Ce drame, ajouté aux trop nombreuses disparitions, marque un coup sévère au moral de Stewart qui ne cache même plus son intention de stopper l'hémorragie. Sa vingt-septième victoire sur le Nürburgring ne fait qu’accentuer son avance au championnat mais clairement, le cœur n’y est plus. Après sa deuxième place en Autriche, le brillant écossais réalise une course solide à Monza, remontant une grande partie du peloton suite à une crevaison rapide et un arrêt impromptu. Cette quatrième place finale lui octroie le nombre d’unités suffisantes pour sceller son troisième titre de champion du monde. Seul Fangio demeure en tête de ce classement anecdotique, rejoignant le taciturne Brabham et ses trois étoiles au palmarès des grands de ce sport. Après une sortie anonyme au Canada, Jackie Stewart entame son dernier week-end de course, ce qui sera son centième départ en carrière, du moins, logiquement. Lors des essais à Watkins Glen, son équipier François Cevert perd le contrôle de sa Tyrrell. La monoplace bleue se disloque avant de lourdement taper les rails en acier. Sectionnée en deux, la 006 affublée du n°6 ne laisse aucune chance à son pilote. Touché en plein cœur, le récent champion hésite à courir. Sa femme le convainc de laisser tomber. Ainsi se termine la carrière de Stewart. Ce n’est pas qu’une page qui se tourne, c’est un chapitre de la Formule 1 qui se termine.

Une fois le casque rangé, Jackie Stewart se dirige vers le journalisme, commentant quelques courses pour la TV, tout en poursuivant ses rôles d’ambassadeurs tout autour du monde. Il fera un retour remarqué en 1997 son écurie éponyme, créée avec son fils Paul et par Ford. Malgré un podium inespéré à Monaco, les voitures blanches seront bien mauvaises et peu fiables. En 1999, pour la dernière année de l’équipe anglaise, Herbert parvient à remporter le grand-prix d’Europe au Nürburgring, seul succès pour Stewart en tant que patron d’écurie. Barrichello complète ce podium, troisième, pour le plus grand bonheur de l’anglais. Malgré la disparition de son team, Jackie Stewart reste un symbole de la discipline, souvent présent dans les paddocks ou lors d’évènements de sponsoring. Celui qui avait initié le boulot de “pilote vendeur” n’a fait qu’entrer la Formule 1 dans une nouvelle ère économique et sociale. Mais son plus gros combat reste bien sûr celui de la sécurité. Les accidents mortels ont considérablement baissé quelles que soient les catégories et les circuits. Sans son militarisme, son franc-parler et son acharnement, qui sait ce que seraient devenus les sports mécaniques aujourd’hui ? L’homme aux rouflaquettes n’aura pas seulement triomphé à trois reprises, il aura, à jamais, changé l’histoire.

Jackie Stewart en chiffres...

Meilleur classement en championnat du monde F1 :

Champion du monde (1969, 1971, 1973)

Grands-prix :

99 (100 engagements)

Victoires :

27

Podiums :

43

Poles Position :

17

Meilleurs Tours :

15

Mis à jour le 

26/09/2025

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