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Juan Manuel Fangio

Il incarne la première domination de l’histoire de la Formule 1 mais aussi l’une des plus importantes que le sport automobile ait connu : Juan Manuel Fangio.

Le nom de l’argentin est indissociable du sport automobile. Pourtant, c’est le football qui l’intéresse tout particulièrement durant sa jeunesse. Sa passion pour l’automobile viendra plus tard, vers l’âge de seize ans, avec la découverte de la mécanique. Fangio s’y plait et envisage d’y travailler sérieusement dans ses années futures. C’est d’ailleurs ce qui le pousse à arrêter tôt ses études pour entièrement s’y consacrer. Une fois son service militaire achevé, le jeune homme décide d’ouvrir son propre garage. En plus de s’y plaire, il commence à économiser pour tenter de participer à quelques courses locales. Son coup de volant ne passe pas inaperçu, bien que les premières voitures qu’il pilote ne soient que de modestes Ford A. C’est à vingt-cinq ans que ses premiers tours de roues en compétition arrivent. Les courses longues distances sont légions en Amérique du Sud et c’est sur celles-ci que l’argentin commencera à écrire son palmarès. Après quelques années pour trouver son rythme, le voilà enfin auréolé de son premier succès, en 1940, lors de l’épreuve la plus éprouvante de sa vie : le Gran Premio del Norte. Disputée sur plus de 10 000 km en Amérique du Sud, cette course, comparable au Paris-Dakar ou autre Rally-Raid du genre, était très populaire à l’époque, là où les circuits permanents n’étaient encore que très peu nombreux. A bord de sa Chevrolet, il avale l'entièreté de la distance en 109 heures après avoir subi diverses pannes et supporté des conditions extrêmes, tantôt désertiques, tantôt tropicales, tantôt glaciales. Il réédite l’exploit un an plus tard, se mettant alors à rêver de grandes compétitions internationales. Si l’Europe est sa destination de prédilection pour le pilotage, la Seconde Guerre Mondiale retarde ses plans et ce n’est qu’en 1947 que ses activités à haut niveau peuvent reprendre. Sous l’impulsion du président Péron, un championnat argentin est créé cette année-là et Fangio, récemment inscrit dans les rangs de l’Automobile Club Argentin, est l’un des principaux acteurs. Après une année 1948 pour apprendre, dont sa première course sur le vieux continent en remplacement de Maurice Trintignant blessé, et grâce à ses quatres succès, 1949 lui offre une voie royale vers l’Europe. Fangio, alors âgé de trente-sept ans, se voit prêter une Maserati 4CLT pour découvrir les pistes européennes. Le succès est immédiat. En huit grands-prix, il en remporte six, et non des moindres : San Remo, Pau, Perpignan, Albi, Marseille et même Monza, au volant d’une Ferrari 166C. L’argentin étonne son public et son peuple, déjà aficionado du prodige fraîchement débarqué en Europe. Il n’en fallait pas plus pour impressionner l’équipe en verve de la fin de décennie, Alfa Romeo.

L’écurie italienne sait qu’elle détient la crème de la crème en termes de pilote pour la saison inaugurale du championnat du monde de Formule 1, une triplette formant le trio des “F” : Farina-Fagioli-Fangio. La Tipo 158 est une magnifique machine italienne mais la fiabilité n’est pas son point fort malgré déjà plusieurs années de course derrière elle. Après la guerre, peu de marques développent de monoplaces et pour le grand début de ce qui deviendra la pinacle du sport auto, le plateau est maigre. La firme milanaise dominera tout mais au sein du team, c’est une lutte fratricide qui oppose les trois hommes pour la première couronne. Avant même que la “vraie” saison ne débute, quelques courses hors-championnat sont organisées, comme à Pau ou San Remo, remportées par l’argentin sur deux montures différentes. Il terminera également à la troisième place de la célèbre Mille Miglia, en Italie. A Silverstone, pour la première manche de l’histoire de la Formule 1, les Alfetta sont imbattables, comme elles le seront le reste de l’année. Sur l’aérodrome anglais, Fangio est devancé par Farina sur l’exercice du tour chrono mais en course, le rythme soutenu de l’italien est tenu par l’argentin. Malheureusement, à huit boucles du but, une conduite d’huile cède sur sa voiture, le conduisant à l’abandon alors qu’il était deuxième. Il se rattrapera bien vite à Monaco, signant ici-même le premier Grand Chelem de l’histoire, soit la pole position, le meilleur tour, la victoire et l’intégralité des tours passés en tête. C’est d’ailleurs l’un des seuls à éviter le carnage du premier tour et son carambolage historique. Si aucune machine italienne n’est au départ des 500 Miles d’Indianapolis, la course à l’étoile mondiale se poursuit en Suisse et une fois encore, les 158 sont à la fête. Comme au Royaume-Uni, Farina et Fangio se détachent du reste du peloton et la victoire se joue entre les deux hommes. L’écart est toujours très faible, là où le reste de la concurrence est presque relégué à un tour. Le coup de volant est magistral mais comme à Silverstone, ses efforts ne seront pas récompensés. Un nouveau pépin mécanique l’oblige à se retirer, laissant échapper une fois de plus de gros points. Mais la désillusion laisse rapidement place au bonheur avec deux succès obtenus coup sur coup, le premier en Belgique sur le mythique Spa-Francorchamps, le second sur le très rapide circuit de Reims. A l’aube de la dernière manche à Monza, Juan Manuel Fangio est plus que revenu sur son rival Farina puisque c’est désormais lui qui mène le championnat pour deux petites unités. Pour conforter encore plus sa place de prétendant, l’argentin arrache deux victoires supplémentaires hors-championnat, l’une à Genève, l’autre à Pescara, preuve de sa pointe de vitesse phénoménale. Mais ce qui le fait gagner si souvent, c’est aussi sa maîtrise de la mécanique. En protégeant plus sa monture que ses concurrents, il s’assure d’une fiabilité accrue, enfin, quand le sort ne s’en mêle pas. Sur l’autodrome de Monza, une Ferrari s’illustre parmi les Alfa. Alberto Ascari rentre dans le jeu et espère triompher sur son bolide rouge. L’aspiration et la bonne tenue des moteurs seront la clé pour s’imposer. La pole position est un premier pas en avant pour Fangio mais pour celui-ci, le succès est loin d’être acquis. Selon ses dires, il se pourrait même que la puissance de sa machine ne soit pas équivalente à celle de Farina, d’où un favoritisme envers les italiens. C’est même ce dernier qui prendra la tête au départ. Tapi dans son ombre et dans celle d’Ascari, l’argentin pousse encore et encore mais à mi-course, sa boite de vitesses le trahi. Piqué à vif par ce nouvel ennui mécanique, il n’hésite pas une seule seconde à prendre le volant de la monoplace de son équipier Taruffi, alors deuxième. Ses chances de titre sont encore grandes mais dix boucles plus tard, tous ses espoirs tombent dans un panache de fumée. Le moteur de la 158 casse. Fangio doit laisser passer cette première couronne mondiale à Farina, bien mieux aidé par la fiabilité. La performance est là et la revanche est déjà prise pour 1951. Cette année-là, les voitures au trèfle évoluent et passent sous la désignation 159. Mais le plus gros changement, c’est bien la montée en force du Cheval Cabré d’Ascari et de Gonzalez. C’est pourtant lui qui réalisera la pole position et la victoire sous la pluie battante et froide en Suisse, se plaçant instantanément comme l’homme à battre. En Belgique, c’est encore lui le plus rapide mais lors de son arrêt ravitaillement à mi-course, ses mécaniciens n’arrivent pas à changer l’une des roues. Pas le choix, il faut changer le pneu avec la jante encore montée sur la monoplace. Un quart d’heure est perdu dans la manœuvre, l’envoyant loin de la zone des points. A Reims, la malchance le touche à nouveau après une vingtaine de tours, moteur malade. C’était sans compter sur les ordres de l’écurie Alfa Romeo qui n’hésita pas un seul instant à pousser Fagioli hors de sa voiture lors de son arrêt pour y mettre Fangio. Le couteau entre les dents, il poussa encore et encore, profitant des malheurs de Farina pour voguer vers sa cinquième victoire en grand-prix et ainsi confirmer sa place de leader. Mais à Silverstone, petite révolution : c’est Gonzalez et sa Ferrari qui l’emporte. L’écurie de Maranello est de plus en plus menaçante et viendra même à remporter trois grands-prix consécutifs, de quoi relancer Ascari dans la course au titre. Les lauriers seront décernés sur le tracé urbain de Pedralbes, à Barcelone. Les Ferrari sont une menace mais un changement dans la taille des roues conduira les rouges à la défaite. Malgré ses deux arrêts aux stands, Fangio domine et scelle ce championnat avec facilité. Nouveau succès synonyme de titre, une bénédiction pour celui qui, trois ans auparavant, pilotait encore de petites voitures de tourisme. La légende était en marche…

Pour l’année suivante, Juan Manuel Fangio doit changer de crémerie. En effet, Alfa Romeo s’est retiré, laissant la Scuderia Ferrari quasiment seule dans ce championnat pourtant déjà relevé. Mais un autre concurrent italien pointe le bout de son nez : Maserati. La marque au trident n’est pas inconnu pour l’argentin, lui qui a déjà participé et gagné quelques courses avec ces machines. Mais avant de fouler le sol européen en quête d’un second triomphe, le récent champion du monde participe à la campagne Argentine de voitures de course et le moins que l’on puisse dire, c’est que le succès est garanti. En sept sorties, le voilà six fois vainqueur, de quoi écoeurer la concurrence. Fort de tous ces récents succès, il s’essaye à la F2 à Monza mais dans le deuxième tour, sa machine part dans une terrible embardée dans les Lesmo. Le choc est si violent que l’argentin est très sérieusement touché et les conséquences pourraient être dramatiques. Par chance, il ne sera pas paralysé mais sa saison 1952 est déjà terminée avant même qu’elle ne commence réellement. C’est d’ailleurs l’une de ses seules erreurs de pilotage. Après une demi-année de convalescence, Fangio rempile pour 1953 chez Maserati avec l’espoir de faire tomber la Scuderia et Ascari, maîtres du monde la saison dernière. Son A6GCM est moins véloce que les italiennes de Maranello mais à son volant, l’argentin fait des merveilles. Tout au long de l'année, il se qualifie toujours parmi le top 4, preuve de sa confiance retrouvée après une saison passée loin des circuits. Son entame de championnat ne sera pourtant pas récompensé malgré son talent volant entre les mains. Deuxième sur la grille en Argentine et aux Pays-Bas, il est contraint, à chaque fois, de mettre pied à terre suite à des ennuis de transmission alors que de gros résultats étaient possibles. A Spa-Francorchamps, la vitesse de pointe des Maserati fait la différence et avec sa pole, le champion du monde 1951 prend une bonne option pour la victoire. Malheureusement, son moteur finira par le trahir et bien qu’il ait pu récupérer la monoplace de son équipier d’un jour Johnny Claes, sa course se terminera hors de sa monture, éjecté après être parti en tête-à-queue dans le dernier tour alors qu’il tenait la troisième place. Sa performance homérique n’aura donc pas suffit, lui qui grattait presque dix secondes par boucle sur ses concurrents ! A l’heure actuelle, toutes les victoires lui échappent, comme lors de la Targa Florio où un problème sur sa direction l’oblige à baisser de rythme en vue de l'arrivée, le faisant échouer au troisième rang final, à moins de cinq minutes des vainqueurs. Les épreuves d’endurance ne seront d’ailleurs pas une réussite en cette année 1953 avec des abandons aussi bien au Mans qu’à Spa-Francorchamps ou au Nürburgring. En France, pour le grand-prix de l’ACF de Reims, Fangio surpilote pour contrer l’hégémonie Ferrari. Face à un Mike Hawthorn plus en forme que jamais, il va combattre soixante tours durant, pendant presque trois heures, pour tenter de décrocher ce succès qui semble se refuser à lui depuis des mois. Tour après tour, les deux hommes s’aspirent, se dépassent, se redépassent sans cesse. L’épreuve demeure encore aujourd’hui historique tant l’intensité du combat était rude mais respectueuse. A l’abord du dernier tour, les deux pilotes sont côte-à-côte et ce n’est que sur la ligne que la différence se fera, à l’avantage de l’anglais pour une petite seconde. La Maserati fonctionne de mieux en mieux et la fin de championnat, bien que rapidement jouée avec le second titre d’Ascari, tourne en la faveur de Fangio. Après sa deuxième place en France, il enchaîne avec le même résultat à Silverstone et sur le Nürburgring, passant proche de rééditer la performance en Suisse si sa monture ne l’avait pas lâché. Le dernière de l’année se tient à Monza et l’argentin aimerait faire triompher la marque au trident une première fois en Formule 1. Sa bonne vitesse de pointe devrait l’aider mais l’aspiration pourrait jouer en sa défaveur. La course avance vite et à quelques boucles du but, ils sont encore trois à pouvoir viser la première place : Fangio, Ascari et Farina. Si le champion 1952 et 1953 mène le plus souvent, un écart de trajectoire et une sortie de piste dans le dernier virage l’empêchera de triompher, tout comme Farina, gêné par son coéquipier. Évitant plus que habilement les embûches, l’argentin s’impose devant les machines de la Scuderia, invaincues depuis deux ans si l’on décompte Indianapolis. Pour parachever une saison de montée en puissance, l’argentin s’offre un beau succès lors de la très difficile Panamericana au volant d’une Lancia D24 en un temps record. Mais le lauréat de 1951 sait que l’écurie de Modène ne lui offrira probablement pas le matériel nécessaire pour jouer la gagne en 1954. Le temps de voir ailleurs est arrivé…

Car en cette campagne 1954, la Formule 1 retrouve son rang de pinacle du sport auto. Fini la réglementation F2, place à la vraie F1. Face aux Ferrari, Maserati et autres Gordini, un nouveau constructeur rejoint la mêlée : Mercedes-Benz. Mais avant que la marche allemande ne fasse officiellement son entrée dans la discipline, Fangio décide de rester fidèle à Maserati pour quelques week-ends de course. La saison s’ouvre en Argentine, chez lui, à Buenos Aires. Sous la pluie argentine, sa 250F s’en sort drôlement bien, récupérant la tête de l’épreuve à une vingtaine de tours du but pour finalement s’imposer avec une marge considérable de plus d’une minute. La nouvelle machine italienne fonctionne à merveille et à Spa-Francorchamps, c’est avec une certaine maestria que Fangio l’emporte, toujours sur sa Maserati. Le choix de partir vers le clan allemand semble questionnable au vue des performances de la machine au trident mais l’argentin à du flair et les résultats seront tout bonnement exceptionnels. C’est sur la piste de Reims-Gueux que les flèches d’argent débutent officiellement leur campagne victorieuse. La W196s est une curiosité à part entière dans le monde de la Formule 1 car c’est la seule monoplace dotée d’une carrosserie enveloppante, un peu à la mode des voitures de série ou d’endurance, le tout pour éviter de générer trop de traînée sur les circuits typés vitesse. Pour sa première sortie, l’allemande fait des miracles : pole, victoire et meilleur tour, le tout orchestré par Fangio, l’hégémonie ne faisait que commencer. A Silverstone, sa monoplace est encore dominatrice et le numéro de l’argentin fait pâlir la concurrence. Petite alerte cependant avec la des problèmes de boîte de vitesses, l’obligeant à changer sa manière de piloter en fin de course le faisant rétrograder de la première à la quatrième place finale. Cette déconvenue sera la seule d’une saison presque parfaite. Sur le Nürburgring, comme en Suisse, la W196s laisse place à la W196 et ses roues découvertes, plus agile sur ces circuits tortueux. L’absence de carrosserie ne dérange en rien le champion 1951 qui déroule ici avec une facilité déconcertante. Ces deux nouveaux triomphes ne sont qu’une formalité et à deux grands-prix du terme de la saison, son second titre est déjà acquis. Il ne se repose pourtant pas sur ses acquis, continuant sur sa lancée triomphale à Monza, réduisant les italiennes au simple rôle de figurant, une véritable douche froide pour les tifosi. Les transalpins qui materont les allemandes en Espagne, repoussant le nouveau champion au troisième rang final, à un tour des leaders. Fort de sa nouvelle couronne mondiale, Juan Manuel Fangio espère poursuivre et asseoir un peu plus sa domination mondiale mais face à lui, un adversaire de taille va venir le pousser dans ses derniers retranchements, un certain Moss, Stirling Moss. La campagne 1955 s’ouvre, comme il est de coutume, en Argentine, terre natale de Fangio. Sur son circuit maison, l’argentin exécute son numéro en s’imposant, sous la chaleur étouffante, lors de la manche d’ouverture du championnat de Formule 1, mais également hors-championnat quinze jours plus tard. Une seule course s’est déroulée et tout le monde se demande qui pourrait battre le désormais double champion du monde. C’est Moss qui sera le premier à le battre à voiture égale lors des Mille Miglia, devançant son adversaire d’une trentaine de minutes à l’arrivée. Les deux hommes vont devenir de sérieux rivaux mais vont également former un duo de talent en endurance. La domination des W196 ne fait aucun doute et pourtant, lors de la deuxième sortie de l’année, à Monaco, la fiabilité leur fera défaut. Ce jour-là, c’est Trintignant qui récolte les lauriers, une première victoire française en catégorie reine. La suprématie des flèches d’argent se poursuit même en dehors de la Formule 1 avec ce doublé sur le Nürburgring, Fangio devançant Moss pour une petite seconde à l’arrivée alors que le reste des concurrents naviguent plus de cinq minutes derrière. La même histoire se répète à Spa-Francorchamps. Deux pilotes devant, toujours les mêmes. Trois dixièmes les séparent sous le drapeau à damier, toujours à l’avantage du champion du monde. Mais aux 24 Heures du Mans de cette année 1955, la rivalité fait place à l’amitié et à la solidarité. Pour la première fois, Fangio et Moss partagent la même voiture. Rien d’étonnant à ce que la paire soit nommée favorite avant le départ. Mais la course prendra une tournure bien tragique. Juan Manuel Fangio verra tout de ses propres yeux : le contact entre la Mercedes de Levegh et l’Austin de Macklin puis l’envol de la flèche d’argent parmi les spectateurs et la désintégration de la voiture. Alors qu’il luttait pour la victoire, ordre est pris de stopper les machines floquées de l’étoile en signe de respect à toutes les victimes de cette terrible catastrophe. Cet accident aura pour cause de drastiquement réduire le calendrier de Formule 1 avec l’annulation de quatre épreuves mais surtout, d’éloigner Mercedes de toutes compétitions pendant plusieurs décennies. C’est donc le cœur lourd et l’esprit de compétition un peu tourmenté que l’argentin reprend du service à bord de sa monoplace grise. Victorieux à Zandvoort, il se satisfait d’une deuxième place derrière Moss à Aintree pour sécuriser un troisième sacre mondial, non sans douleur. Un dernier succès en Italie avec la W196s carrossée viendra faire briller une dernière fois les flèches d’argent, absentes en F1 pendant près de 55 ans.

Avec l’absence du constructeur allemand, le nombre d'équipes diminue et même si les petits teams anglais commencent à s’immiscer en catégorie reine, les écuries italiennes semblent toujours mieux armées. Pas de Maserati pour Fangio en 1956 mais un pur sang italien cabré, celui de la Scuderia Ferrari. C’est un nouveau défi pour l’argentin car la firme de Maranello peine à briller sans sa vedette Alberto Ascari, disparu dans un accident lors de tests à Monza l’année passée. La Ferrari D50 est sans conteste la plus rapide des voitures sur la grille en 1956 mais la fiabilité reste quelque peu hasardeuse. Pour ne rien arranger, le triple champion du monde va connaître sa saison la plus difficile du fait de la présence d’un homme, un certain Enzo Ferrari. Le Commendatore et son caractère perturberont une année pourtant pleine de promesses sur tous les plans. Sur le circuit de Buenos Aires, l'argentin est le plus véloce mais après seulement vingt-deux tours, tous ses efforts sont réduits à néant. Sa pompe à essence rend l’âme, ce qui compromet évidemment son grand-prix national. Par chance, il récupère la monture de Musso et attaque sans relâche pour finalement retrouver la tête et s’adjuger une nouvelle victoire partagée. Outre les week-ends en Formule 1, Fangio, comme tout bon pilote de la Scuderia de l’époque, participe à plusieurs épreuves, notamment d’endurance, comme aux 12 Heures de Sebring, qu’il accrochera à son palmarès avec l’aide de Castellotti. Après avoir également triomphé dans les meetings hors-championnat de Buenos Aires et de Syracuse, l’argentin attaque le grand-prix de Monaco avec la casquette de favori mais au bout de trois tours, sa course prend une autre tournure. Victime d’un tête-à-queue, il doit désormais ménager sa monture et perdre du terrain sur les leaders. Peu après la mi-course, et sur le simple fait que la Scuderia voulait empêcher la Maserati de Moss de gagner, Fangio reprend du service sur la monoplace de Collins. Le couteau entre les dents, il grattera secondes après secondes pour finalement se rapprocher à quelques encablures de son ami et adversaire anglais au moment de l’abaissement du drapeau à damier. A Spa-Francorchamps, c’est encore lui le plus rapide sur un tour avec sa D50 mais une fois encore, la mécanique ne tiendra pas le coup. Pas de possibilités de remplacer quiconque, c’est un résultat blanc pour l’argentin, peu coutumier du fait. Si le championnat est très serré, jamais Fangio n’aura été autant en difficulté depuis son arrivée dans la discipline. La désillusion sera également de mise sur le tracé de Reims-Gueux, malgré une voiture exceptionnellement performante. Leader incontesté depuis le début, le voilà contraint de passer aux stands pour colmater une fuite de carburant dans la seconde moitié d’épreuve. Le championnat avance mais le compteur de l’argentin demeure maigre, à l’inverse de Collins qui semble se placer un peu plus en leader de la Scuderia. Il faut dire que le Commendatore préfère l’anglais au triple champion. De quoi susciter quelques hypothèses quant à un quelconque sabotage de la monoplace de l’argentin. Rien ne sera avéré mais pour espérer garder son titre, Fangio va devoir se démener. C’est ce qu’il fera à Silverstone ou encore sur le Nürburgring, où il réalisera d’ailleurs son second grand chelem en carrière. Avec tous ces points récoltés, Fangio reprend la tête avant d’aborder l’ultime manche italienne. Devant la marée de tifosi, le triple champion veut bien faire et agrémenter son palmarès d’un trophée supplémentaire. Derrière lui, Collins et Behra sont les seuls à pouvoir encore espérer le sacre mais pour y croire, il faudrait que l’argentin perde tout. C’est ce qui arriva au dix-huitième tour avec un problème sur la direction de sa D50. Son arrêt aux stands est interminable. Ferrari ordonne à Musso de laisser la place à son équipier sur le carreau mais l’italien, trop fier pour abandonner son volant, redémarre sans écouter les consignes. Quelques boucles plus tard, Collins déboule aux stands et sort immédiatement de sa voiture pour la laisser aux mains de Fangio alors que le titre pouvait lui être décerné ! L’argentin, étonné mais touché par ce geste, repart en trombe à la poursuite des leaders, Moss et Musso. Inlassablement, l’écart diminue et après l’abandon de l’italien et la perte de temps subite après un ravitaillement en carburant express, le triple champion attaque de plus belle. Tour après tour, ce sont des secondes pleines qui s’effacent entre lui et Moss. Le gap tombera de quarante à cinq secondes en quelques boucles mais il va manquer un tour. Stirling s’impose devant son grand ami, désormais auréolé d’une quatrième étoile mondiale. Son talent n’a plus de limite. Peu importe la voiture et l’équipe, Juan Manuel Fangio est au-dessus du lot. A quarante-cinq ans, il reste étonnant de fraîcheur et d’envie de triompher. Mais quand s’arrêtera-t-il ? Pas en 1957…

L’atmosphère étant trop pesante au sein de la Scuderia Ferrari, Fangio décide de faire machine arrière et de revenir, non pas chez Mercedes, mais chez Maserati. La 250F est une monoplace vieille de trois ans et qui n’a remporté que quatre victoires, dont deux par l’argentin lui-même début 1954. Ramener cette voiture au premier plan ne sera donc pas aisé mais le désormais quadruple champion n’a pas froid aux yeux et aborde, à quarante-six ans, sa septième saison de Formule 1. Il n’y a que des italiennes au départ du grand-prix d’Argentine puisque seules des Ferrari et des Maserati sont engagées. La machine au trident de l’enfant du pays est acclamée par la foule à chaque passage et pour cause : il est encore devant ! Battu d’une seconde pleine par Moss, il finira par inverser la tendance et s’imposer devant son peuple, entièrement acquis à sa cause. Ce bon résultat ne sera pas qu’un coup de chance car derrière, les succès s'enchaînent encore. Victorieux pour sa course hors-championnat à domicile, il double la mise à Sebring, lors des 12 Heures, avec Jean Behra, équipier chez Maserati. Puis Monaco, nouvelle démonstration. Parti de la pole position, il n’aura qu’à attendre l’accident rapide de son ami et rival anglais pour récupérer le leadership et ne plus jamais le quitter. Bien qu’il manque le coche lors des 1000km du Nürburgring ainsi qu’aux 24 Heures du Mans, il retrouve les sommets sur le circuit de Rouen-Les Essarts, emmenant derrière lui un triplé Ferrari mais à plus de cinquante secondes sous le drapeau à damier. A la mi-saison, le classement du championnat est presque déjà définitif. A Aintree cependant, sa machine n’est clairement pas compétitive et sur ce petit tracé anglais, ce sont les teams britanniques qui s’en sortent le mieux, une première dans l’histoire de la discipline. Son calvaire s’arrête subitement au quarante-neuf de quatre-vingt-dix tours de course, mais rien d’alarmant, le titre est pratiquement sien. Sur le terrible Nürburgring, Juan Manuel Fangio nous offre une course unique en son genre dont lui seul à le secret. Sur ce circuit interminable et si complexe, le pilote fait grandement la différence. Alors qu’il doit s’arrêter faire le plein à mi-course, les hommes de tête possèdent presque cinquante secondes d’avance. Un tel écart serait impossible à combler de nos jours, sauf pour Fangio. Dans un rythme effréné, poussant sa mécanique à l’extrême limite, l’argentin grignote du terrain. Inéluctablement, il remonte sur les Ferrari de Hawthorn et de Collins et à deux boucles du but, le voilà dans le sillage des voitures rouges. En un rien de temps, la menace est effacée et le quadruple champion reprend la tête pour ne plus jamais la quitter. Cette fulgurante attaque l’assure d’un cinquième sacre mondial, un record qui tiendra 46 ans durant ! Personne n’aura su lutter face au Maestro, légende de la Formule 1. Débarrassé de la pression du championnat, l’argentin lève le pied. Deux deuxièmes places, derrière Moss à chaque fois, viendront conclure sa formidable épopée 1957, mais aussi sa grande carrière en catégorie reine. Le grand homme commence à songer à la retraite. A presque 50 ans, sa forme physique décline, l’envie aussi. Cette dernière année de champion sera également sa dernière en tant que pilote à plein temps. Désormais, il ne fera que quelques courses par-ci par -là. La première d’entre elles se tiendra chez lui, en Argentine, où il terminera quatrième après être parti de la pole position. Sa tentative de participation aux 500 Miles d’Indianapolis ne dépassera pas le cap des préqualifications. Mais avant de s’essayer sur l’anneau de vitesse, Fangio connaît une drôle d’histoire en cette fin Février 1958. Alors qu’il s'apprêtait à disputer une course hors-championnat dans les rues de la Havane, à Cuba, il est kidnappé. Les ravisseurs ne lui veulent pas de mal mais cherchent juste à faire pression sur les autorités pour annuler l’épreuve. Finalement, la course (tragique) aura bien lieu mais l’otage sera relâché sans avoir été maltraité. Le 6 Juillet 1958, Fangio s’aligne pour la dernière fois sur la grille de départ d’un grand-prix, en France. C’est une quatrième place qui l’attendra sous le drapeau à damier. Une magnifique carrière venait de prendre fin, une drôle d’époque également.

Juan Manuel Fangio a marqué de son empreinte l’histoire de la Formule 1 et du sport automobile en général. Toujours très discret durant sa période de retraite, il se nouera d’amitié avec de nombreux pilotes, dont Ayrton Senna. Il décèdera en 1995 des suites d’un arrêt cardiaque. Malgré sa disparition, la légende dure encore aujourd’hui. L’homme dispose de records qui ne seront probablement jamais battus. 47% de victoires, 56% de poles position, 45% de meilleurs tours et 68% de podiums en 51 départs. L’argentin était le meilleur de sa génération, sans nul doute. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il décrocha cinq titres de champions du monde des pilotes, le tout sur quatre écuries différentes, là encore un record.

Juan Manuel Fangio en chiffres...

Meilleur classement en championnat du monde F1 :

Champion du monde (1951, 1954, 1955, 1956, 1957)

Grands-prix :

51 (53 engagements)

Victoires :

24

Podiums :

35

Poles Position :

29

Meilleurs Tours :

23

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