Dan Gurney
Les Etats-Unis, théâtre de très nombreuses courses mais de l’éclosion de peu de talent au final. L’un d’entre eux fut pourtant l’un des tous meilleurs de son époque : Dan Gurney.
Né au début des années 30, le jeune Dan Gurney aime avant tout la musique et la chanson. Pour autant, l’américain ne reste pas insensible à la mélodie des gros moteurs qui propulsaient les beaux modèles de l’époque. De plus, il s’intéresse à la mécanique, bien aidé par une famille plutôt intellectuelle. Après la guerre, l’heure du choix de carrière se profile mais comme beaucoup de jeunes de son temps, il termine immanquablement attiré par la culture des grosses cylindrées surpuissantes. Avant de combattre en Corée, Dan conçoit un petit hot-rod aux performances extraordinaires puis après son retour au pays et aux études, il s’offre enfin son premier bolide pour la course, une Triumph TR2. Un choix étonnant pour l’américain, là où bon nombre de ses compères s'en vont piloter sur des pistes en terres ovales. Rapidement, le petit Gurney emmagasine de l’expérience et son pilotage ne cesse d'impressionner les autres pilotes et propriétaires d’équipe. C'est ce qui le conduira à conduire une Maserati modifiée dans une épreuve rassemblant les plus grands talents de l’époque : Ken Miles, Caroll Shelby, Phil Hill… Au grand étonnement de tous, le petit nouveau parvient à dompter le monstre italien, ce qui n’échappe pas au célèbre importateur de Ferrari outre-Atlantique, Luigi Chinetti. Le Commendatore est sous le charme. Le voici donc membre à part entière de la maison italienne. Son premier défi se déroule en France avec les 24 Heures du Mans 1958. S’il ne croise pas la ligne d’arrivée, il se rattrape l’année suivante, toujours en sport proto, pour rafler, chez lui, les lauriers des prestigieuses 12 Heures de Sebring. Après une belle prestation lors des 1000 km du Nürburgring et au Mans, Enzo Ferrari souhaite voir son poulain au volant d’une de ses monoplaces. C’est le début d’une très courte histoire d’amour avec la Scuderia.
La saison 1959 est déjà bien entamée mais Gurney sait que cette expérience ne lui sera que bénéfique. Sa première apparition en Formule 1 se fait donc sur le redoutable circuit de Reims, en France. Alors que Cooper fait sensation avec sa T51 et son moteur placé à l’arrière, les machines italiennes, des D246 en l'occurrence, poursuivent avec plus conventionnelle architecture avec bloc à l’avant. Les débuts sont loin d’être faciles mais la vitesse de pointe de la Ferrari fait des merveilles en ligne droite. Qualifié douzième, l’américain prend son aise et grimpe peu à peu dans la hiérarchie avant d’être stoppé net par un radiateur défaillant. Il se rattrapa un mois plus tard lors de la manche allemande, sur le très surprenant tracé de l’Avus, à Berlin. Là, dans une course sciée en deux, Gurney profita de la pleine puissance de sa monture pour s’adjuger la deuxième place finale lors d’un grand-prix inutile et insipide. Après ce bon résultat, l’envie de continuer sur cette lancée le pousse à s’améliorer. Ainsi, au Portugal, sur une piste jonchée de rails de tramway, il évita les embûches et les problèmes mécaniques pour passer de la sixième à la troisième place. Avec deux podiums en trois départs, l’américain surprend tout le monde, à commencer par son patron. Et pourtant, l’histoire avec la Scuderia n’aura pas de suite. Pas intéressé par les bonnes manières et le style de la firme de Maranello, Gurney décide, après un dernier grand-prix en rouge à Monza, de quitter l'Italie pour l’Angleterre et la petite structure BRM. Il y rejoint deux autres grandes figures de la discipline, Graham Hill et Jo Bonnier. Hélas, cette nouvelle aventure fut loin d’être celle qu’il avait sans doute imaginée. Peu fiable et lente, la P48 était une vraie calamité. En sept meetings, sa fragile anglaise ne verra l’arrivée qu’à une seule reprise, chez elle, à Silverstone. A Zandvoort, un gros accident le blesse sérieusement mais pire encore, sa sortie de piste emmena la vie d’un pauvre spectateur placé en bord de piste. Sa seule consolation de l’année sera la victoire lors des célèbres 1000km du Nürburgring, alors associé à Stirling Moss. Comprenant qu’il n’atteindrait pas si facilement les plus hautes marches, Gurney choisit de virer vers un nouvel objectif : faire triompher Porsche en Formule 1. Pari osé.
Car avec le gros changement de réglementation en vigueur, tout espoir est permis. Dans sa machine allemande toute ronde, l’américain se porte en leader d’une équipe officielle en quête de réussite et de succès dans un championnat qu’elle découvre depuis peu. Les débuts de la monoplace grise sont plutôt rassurants avec trois points marqués en autant d'épreuves mais rapidement, une conclusion est à tirer : les Ferrari sont loin devant. Pourtant, lors du grand-prix de France à Reims, Gurney réalise l’une de ses plus solides performances. Sur un tracé réputé pour ses folle vitesses sur des routes départementales, les italiennes sont évidemments les plus rapides mais sur la durée, le bloc V6 manque de fiabilité. De ce fait, les voitures de Stuttgart remontent étonnamment aux avant-postes. Dans les derniers tours, le combat confronte trois pilotes : Baghetti et sa Ferrari, Gurney et Bonnier sur leur Porsche. Grâce à l’aspiration, les trois hommes s’échangent la première place mais à deux boucles du but, le suédois ralenti, laissant libre champ au deux pilotes rescapés pour s’expliquer jusqu’à la ligne. En passant sur la ligne pour entamer les derniers kilomètres, l’américain tient tête mais dans les derniers instants, Baghetti lui chipe le leadership, s’imposant pour un petit dixième à l’arrivée pour ce qui était son premier départ en grand-prix ! Gurney est forcément déçu mais comprend que sa monture peut lui apporter de belles performances. Après deux septièmes places en Grande-Bretagne puis en Allemagne, il retrouve le devant de la scène, récoltant deux nouvelles deuxièmes places à Monza et à Watkins Glen. Son style coulé et précis se révèle être primordial pour faire tenir plus longtemps la mécanique. Avec vingt-et-une unités à son compteur, l’américain aura inscrit quasiment tous les points de son écurie pour la propulser au troisième rang des constructeurs. Cette bonne saison 1961 est de bonne augure pour la suivante mais en cette nouvelle campagne 1962, un adversaire coriace fait son arrivée au premier plan : BRM, l’ancien team de l’américain. Pour autant, la 804 de Stuttgart ne démérite pas et se montre plutôt efficace, malgré une casse de boite de vitesses à Zandvoort et un accident à Monaco. A Spa-Francorchamps, un conflit interne à Porsche pousse le constructeur allemand à renoncer à sa participation, conduisant Gurney à rejoindre, pour une pige, Lotus. Malheureusement pour lui, sa participation se réduira à une simple apparition avant la course, le pilote préférant renoncer avant même le départ à cause d’une mise au point trop complexe. De retour dans le giron Porsche en France, l’américain pu enfin prendre sa revanche de l’année écoulée. Parti sixième, il attendit son heure pour débarquer en tête en toute fin de grand-prix, pour ne plus jamais quitter la première place. Sa première victoire en Formule 1 est enfin arrivée, la première et seule du constructeur allemand aussi. Le team de Stuttgart qui fut à la fête une semaine plus tard avec un nouveau succès lors d’une manche hors-championnat, sur le circuit de Solitude. L’Allemagne qui lui réussi plutôt bien puisque lors des qualifications sur le Nürburgring, il propulse sa machine grise en pole position, avant de finalement rétrograder au troisième rang en course. Les résultats sont enfin là mais à l’issue de la saison, Porsche décide de se retirer après seulement deux campagnes. L’américain est donc contraint de trouver un nouveau team. C’est alors qu’un certain Jack Brabham le contacta pour faire rouler ses propres voitures…
En plus de son travail chez Brabham, Gurney s'attelle à concourir dans les plus grandes disciplines au monde, à commencer par l’USAC et la Nascar. Il y fit d’ailleurs une belle impression en s’imposant sur le tracé routier de Riverside pour sa troisième course en stock-car. Au volant de sa BT7, l’américain réalise de belles performances, dépassant même en vitesse pure son équipier et patron, Jack Brabham. Mais en 1963, un petit jeune du nom de Jim Clark balaye littéralement la concurrence, ne laissant que des miettes à ses adversaires. Pour autant, l’anglais défini Gurney comme son plus sérieux rival, le qualifiant de pilote exceptionnel. Malgré quelques belles performances et plusieurs podiums, il ne peut prétendre à la couronne, la faute à un manque de fiabilité, surtout lorsque les bonnes occasions se présentent. Ce scénario se répètera bien trop souvent durant ses années Brabham. En 1964, alors que la BT7 reprend du poil de la bête, la mécanique le touche très durement. Auteur de deux poles position consécutives à Zandvoort puis à Spa-Francorchamps, il est contraint de renoncer, d’un côté pour un problème de direction, de l’autre pour une panne d’essence à deux tours du but. C’est finalement en France que la chance lui sourit enfin. Tout d’abord, c’est un succès en catégorie GT dans la Sarthe qui ouvre son compteur cette année-là, suivi, huit jours plus tard, par un deuxième triomphe consécutif à Rouen, le premier pour une Brabham. Mais les réjouissances ne sont que de courte durée. Toujours bien qualifié, il se retrouve trop souvent confronté à des ennuis techniques, le reléguant beaucoup de fois en fond de top 10. Après de multiples déconvenues, l’américain saisit une belle opportunité au Mexique, profitant cette fois-ci des abandons de ses adversaires, pour foncer vers sa troisième victoire en Formule 1 lors d’un grand-prix au finish haletant. Cette saison marquée de hauts et de bas doit servir de tremplin pour Gurney qui souhaite à tout prix viser la couronne mondiale. Mais comme deux ans auparavant, un homme se retrouve seul au monde, au-dessus du lot : Jim Clark. Le pilote Brabham aura beau marquer plus de points que les campagnes passées tout en enchaînant une belle série de cinq podiums consécutifs, le cruel manque de points du début de saison, couplé à la difficile mise au point de la nouvelle BT11 ne lui permettent pas de jouer les trouble-fêtes. 1965 sera vierge de tout succès mais 1966 pourrait bien réserver de belles surprises, notamment avec l’introduction des moteurs de 3 litres de cylindrée…
Et pourtant, alors que Brabham faisait le choix étonnant de l’association avec Repco, Gurney décida de prendre son élan et de voler de ses propres ailes. Motivé comme jamais, il bâtit, avec son mécanicien Jo Ramirez, la Anglo American Racers (ou All American Racers selon le lieu de la course). Mais c’est sous un nom plus connu des amateurs de la discipline que va courir l’américain : Eagle. Sa première voiture, la T1F à moteur Climax, arbore une belle livrée bleue et blanche. Mais s’il a pu mettre cette écurie sur pied, c’est notamment grâce au soutien du manufacturier pneumatique américain Goodyear. D’ailleurs, selon la légende, la mention “Eagle” présente sur les flancs des gommes de course de la marque américaine serait un clin d'œil au team monté par Gurney, à moins que ce dernier ait préféré afficher l'emblème de son pays. Mais si les Etats-Unis tentent de se faire une place plus importante sur le sport automobile international, les résultats sont loin d’impressionner autant qu’en endurance. POur sa première sortie officielle à Spa-Francorchamps, l’américain tient jusqu’au bout mais avec cinq tours de retard à l’arrivée, il ne sera même pas classé. La manche suivante se déroule en France, un pays qui lui aura souvent souri jusqu’ici. Et les habitudes ne changent pas. Parti quatorzième sur la grille, il remonta petit à petit dans le classement, profitant des nombreux abandons, pour trouver la cinquième place sous le drapeau à damier, à tout de même trois tours du vainqueur et ex-équipier Brabham. Car comme ce fut le cas après son départ de chez Ferrari puis de chez BRM, l’écurie Brabham est désormais celle à battre. Pour autant, les Eagle font sensation de l’autre côté de l’Atlantique, dans le championnat USAC, se révélant être de vraie machine née pour la gagne. Mais en Formule 1, Gurney galère toujours. Les performances font cependant un bond en avant avec des places d’honneur en qualifications, mais en course, la malchance s’abat de nouveau sur le pilote américain, obligé d’abandonner cinq fois de suite. En fin de saison, il met en piste une évolution de sa première monoplace, la T1G. Cette voiture, considérée comme l’une des plus belles F1 de l'histoire avec ses lignes fluides et son bec d’aigle, dispose désormais d’un moteur V12 Weslake, une exclusivité pour le team américain. L’année 1996 se conclut sur un point positif avec les deux points de la cinquième place au Mexique, de quoi espérer un renouveau dès 1967. Cette nouvelle campagne sera certes plus fructueuse, elle mit surtout en lumière les gros problèmes de fiabilité de l’Eagle, très fragile, surtout pour ce qui était du moteur, au bruit pourtant si mélodieux. A Zandvoort, sa deuxième position au départ ne lui sera d’aucune utilité, Gurney devant renoncer après quelques kilomètres sur un ennui d’alimentation. Quelques jours plus tard, l’américain retente la grande classique du Mans, associé à AJ Foyt sur la révolutionnaire Ford GT. Les deux hommes mènent un train d’enfer durant toute la durée de l’épreuve et ce, jusqu’à l’abaissement du drapeau à damier. La victoire au général est enfin là, un triomphe qui restera dans les annales du sport automobile pour une raison bien particulière. En effet, sur le podium, Gurney eut l'idée d’arroser ses mécaniciens avec le champagne offert aux vainqueurs. C’est le début de la traditionnelle douche au champagne, encore coutumière aujourd’hui. Regonflé à bloc, l’américain retrouve le tracé de Spa-Francorchamps, théâtre de son quasi exploit en 1966, avant sa panne d’essence. La T1G est comme transfigurée. Devant, seul Clark parvient à se mêler à la lutte pour la tête et lorsque ce dernier renonce, plus rien ne pouvait arrêter le pilote Eagle. Après Jack Brabham, Dan Gurney devient le second fondateur d’écurie à s’imposer sur une monoplace de sa conception, un exploit pour celui qui aura tant peiné pour voir l’arrivée. Mais cette formidable réussite ne connaîtra jamais de suite. Sur onze départs, il ne terminera que deux fois, ramenant un second podium à son équipe. Sur le terrifiant Nürburgring, il semble en mesure de s’imposer quand à deux boucles du but, sa transmission le lâche. L’américain l’a déjà compris, son aventure est vouée à l’échec, du moins, en Formule 1…
Car aux USA, l’écurie Eagle se fait une place de renom dans les différents championnats, notamment en USAC et les prestigieux 500 Miles d’Indianapolis, remportés par Bobby Unser, juste devant Gurney. Mais en Europe, berceau de la catégorie reine, la T1G est loin de faire l’unanimité pour son pilote, faisant face à l’arrivée des Lotus 49 ultra-performantes. Ce début de saison est marqué par la mort tragique de son grand rival, Jim Clark, lors d’une course de F2 à Hockenheim. L’américain sait qu’il ne sert à rien d’insister et après cinq nouveaux départs, l’Eagle rejoint le musée. Mais le grand homme n’a pas dit son dernier mot. A Zandvoort, il décroche un baquet chez Brabham, sans pour autant atteindre l’arrivée. Après avoir acheté une McLaren pour le compte de son écurie, il concourt pour retrouver les sommets de la catégorie reine en fin de campagne. Finalement, il n’obtiendra que trois petits points, chez lui, à Watkins Glen. La Formule 1 semble être terminée pour celui en qui beaucoup d’américain croyaient. En 1969, Gurney s’éloigne peu à peu des circuits, ne passant derrière un volant qu’en Amérique, que ce soit en USAC, en Nascar ou en Can-Am, en association avec Bruce McLaren. Il faut dire que cette année-là lui sera plutôt favorable, surtout en monoplace, avec deux succès, une deuxième place à Indianapolis et une quatrième au classement final. En passant beaucoup de leur temps ensemble, Gurney et McLaren se voue une amitié réciproque qui prit brusquement fin en 1970 lorsque le néo-zélandais perdit la vie dans un accident lors d’essais à Goodwood. Très affecté, l’américain fut finalement celui qui le remplaça en Formule 1, à bord d’une voiture au nom de son défunt ami. Après un abandon à Zandvoort, il récolte le point de la sixième place à Clermont-Ferrand avant de renoncer à Brands Hatch. Ce sera sa dernière apparition en Formule 1. À Hockenheim, il est remplacé par Gethin pour une bête histoire de sponsoring non-adapté avec McLaren. Ainsi se termine sa carrière au plus haut niveau, du moins, en Europe.
Car aux Etats-Unis, Dan poursuit ses apparitions sur tous types de circuits, toujours sous les couleurs de son équipe américaine. Finalement, son aventure de pilote s’arrêta rapidement, Gurney préférant se pencher sur la gestion de son team. Si Eagle remporte de nouveaux les 500 Miles en 1973 et 1975, il perd peu à peu de sa superbe face aux grands constructeurs de l’époque. Par la suite, il s’associe avec Toyota pour développer les nouveaux prototypes concourant en IMSA GT, tout en gardant un pied dans le championnat de ChampCar. A la fin des années 1990, le All American Racers s’essouffle et disparaît. Il refait pourtant surface avec un étonnant projet : la Deltawing. Quelques années plus tard, en 2018, Dan Gurney décède, alors âgé de quatre-vingt-six ans. Cet homme rapide mais malchanceux n’aura jamais conquis de titre. Sa victoire au Mans puis son succès en Belgique sur sa propre monture resteront des évènements inoubliables pour tous fans de sports mécaniques, qu’il soit en Europe ou en Amérique.
Dan Gurney en chiffres...
Meilleur classement en championnat du monde F1 :
4e (1961, 1965)
Grands-prix :
86 (91 engagements)
Victoires :
4
Podiums :
19
Poles Position :
3
Meilleurs Tours :
6