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Mercedes W196 & W196S

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Si l’épopée Mercedes des années 2010 est incroyable, l’aventure au milieu des fifties fut tout autant réussie. Retour sur l'histoire d’un modèle emblématique de la marque à l’étoile : la Mercedes W196, et sa déclinaison, la W196S.

Au milieu des années 50, la Formule 1 ne vit que pour les constructeurs italiens, Ferrari, Maserati et Alfa Romeo entre autres. Pourtant, sur la scène internationale, les anglais et les allemands font bonne figure. Ce sera bientôt le cas en catégorie reine. Avant l’avènement de la discipline, Mercedes s’était fait un nom dans les compétitions automobiles d’avant-guerre. L’heure était venue de montrer leur vrai potentiel face au reste du monde. Pour ce faire, Daimler dessina une voiture des plus innovantes : la W196. Sur son châssis tubulaire, se trouve un moteur à 8 cylindres en ligne de 2,5 litres, incliné à 53° sur la droite, de manière à abaisser au maximum le centre de gravité. L’une des innovations de cette machine, c’est sa distribution desmodromique, c’est-à-dire sans ressorts de rappel des soupapes, permettant un gain de puissance à haut régime non-négligeable. Avec cet attirail, l’allemande dépasse les 260cv en 1954 pour filer à presque 290 l’année suivante. Mais ce qui la démarque de ses concurrents, c’est sa carrosserie. Si la W196 existe avec les roues apparentes, comme la majorité des Formule 1 de l’époque, elle est déclinée dans une version “S”, diminutif de “Steamliner”. Derrière ce nom anglophone se cache une carrosserie complète, enveloppant les roues à la manière d’une voiture de série. Aucune indication quant au carénage ou non des roues n’est inscrite au règlement officiel. De ce fait, le constructeur allemand jouit d’un avantage non-négligeable lorsqu’il s’agit de concourir sur les pistes les plus rapides du calendrier.

Et c’est à l'occasion de la quatrième manche du championnat 1954 que les flèches d’argent débarquèrent. Et il faut dire que la marque allemande a mis les moyens pour réussir en recrutant certains des meilleurs pilotes du moment, à savoir Fangio, Kling et Lang. Le premier grand-prix se déroule sur le tracé de Reims et ses interminables lignes droites départementales. C’est le parfait endroit pour tester l’aérodynamique de la voiture et voir si la vitesse de pointe est optimale. Pari réussi. Sur la grille, Fangio devance Kling d’une seconde pleine, abattant un tour de circuit à deux-cents km/h de moyenne. En course, même si la monture de Hermann ne tient pas la distance, personne ne peut lutter face aux flèches d’argent. Mais entre les deux bolides de tête, la lutte est féroce et ce, jusque dans les derniers mètres. Sous le drapeau à damier, Fangio s’impose devant Kling pour un petit dixième de seconde ! A titre de comparaison, le troisième, Robert Manzon, achève son périple à un tour des deux Mercedes. A Silverstone, seuls Fangio et Kling sont alignés par la marque à l’étoile, toujours sur la W196S. L’argentin se montre à nouveau le plus rapide sur un tour chrono mais le jour du grand-prix, sous la pluie, la longue distance de course finira par coûter aux machines grises et la raison est plutôt étonnante. A cause de la carrosserie enveloppante, les pilotes ne savent pas exactement où se placent leurs roues avant et par moment, la limite de piste est franchie. Mais sur le tracé anglais, ces limites correspondent à des bidons et autres pneumatiques en tas. Après de multiples contacts, les performances en pâtissent et le rythme n’est plus tenu. La monoplace qui se voulait imbattable est déjà vaincue, Fangio ne se classant que quatrième. De plus, la Mercedes souffre d’un important problème de sous-virage, notamment causé par cette carrosserie imposante. La troisième course de la W196 se déroule à domicile, sur le vertigineux Nürburgring. Mais cette fois-ci, une seule version “S” est présente, aux mains de Hermann. Les trois autres, pour Fangio, Kling et Lang, sont de simples W196, avec roues apparentes. Cette monoplace est bien moins large que la version carénée, arborant un profil plutôt courant en Formule 1 à cette époque. La voiture est certes un peu moins rapide, elle gagne pourtant nettement en agilité. Le champion argentin le démontra en dominant de la tête et des épaules le rendez-vous allemand, luttant tout de même pour la gagne face à son équipier Kling, parti bon dernier. Moins de chances pour les deux autres montures, renonçant après un tête-à-queue pour l’une, problème de conduite d’essence pour l’autre.

Sur le tracé Suisse de Berne, Mercedes n’aligne que des W196. Le tracé est rapide mais les nombreuses courbes et enchaînements font pencher la balance vers la voiture non-carrossée. Pour la première fois depuis son arrivée en compétition, aucune flèche d’argent ne démarre de la pole position, Fangio échouant dans l’exercice pour deux petits dixièmes du Gonzalez. Les deux autres voitures s’élancent cinquième et septième, dans l’ordre Kling - Hermann. Dès le départ, l'argentin surprend le pilote Ferrari et vire en tête, pour ne jamais la lâcher. Derrière, les autres machines grises remontent petit à petit mais à mi-course, Kling est stoppé net par sa pompe à essence. Hermann en profita pour récupérer le troisième rang, là où il terminera. A l’issue de cette manche, Juan-Manuel Fangio est sacré champion du monde pour la deuxième fois de sa carrière, bien qu’ayant débuté la saison sur une Maserati. Le choix de courir chez Mercedes n’aura pas été si mauvais. L’avant dernier rendez-vous de l’année se tient sur le mythique circuit de Monza et sa piste ultra-rapide. En 1954, les Formule 1 ne courent pas encore sur l’ovale, cette spécification arrivera officiellement l’année suivante. Mais même sans cette incroyable portion, le circuit demeure l’un des plus rapides. Le choix, logique en somme, se porte sur la version avec roues carrossées, dans le but d’atteindre de folles vitesses de pointe, sauf pour Hermann qui opte pour la W196 standard. Comme attendu, le récent champion s’octroie la pole, seulement deux dixièmes devant la puissante Ferrari d’Ascari. Si sa course se déroula sans aucun imprévu, la concurrence ne put en dire autant. Avec des portions à haut régime, le circuit italien est très souvent traître avec la mécanique mais pour ce qui est de Mercedes, tout tourne rond, du moins, quand les pilotes parviennent à garder la bête en piste, ce qui ne fut pas le cas de Kling. La W196 n’aura pas démérité et termina quatrième, à tout de même trois tours de la voiture soeur vainqueur. La saison s’achève donc en Espagne, sur le très dangereux circuit urbain de Pedralbes. Pour la première fois, une Lancia débarque en catégorie reine et directement, Ascari l’installe en pole position. Fangio n’est pas très loin derrière contrairement aux deux autres flèches d’argent, lointaines neuvième et douzième sur la grille. Durant la première moitié d’épreuve, le leadership change souvent de mains, sans pour autant arriver aux Mercedes. Peu à l’aise, les allemandes privilégient la fiabilité sur le long terme, ce qui fonctionna à peu près correctement. Si la pompe à essence fait à nouveau défaut à Hermann, Fangio remonte mais une fuite d’huile en fin d’épreuve l’obligea à ralentir, sous peine de casser son huit cylindres en ligne. Il rétrograda au troisième rang, deux positions devant Kling et sa Mercedes rescapée. Cette première campagne aura été un réel succès pour la marque à l’étoile qui se voit déjà comme la marque à battre en 1955. Pari réussi.

Pour 1955, Mercedes voit grand : moteur plus performant et nouvelle recrue en la personne de Stirling Moss pour accompagner le double champion du monde Fangio. L’écurie allemande compte sur sa W196, celle non-carrossée, pour couvrir l’intégralité du championnat, excepté à Monza où l’arrivée de l’anneau sera plus avantageuse avec la W196S. Et c’est de l’autre côté de l’Atlantique, à Buenos Aires, que débute cette nouvelle saison. Ce sont donc quatre machines grises qui s’alignent pour cette première manche, sous le brûlant soleil argentin. La chaleur aura d’ailleurs une importance capitale durant l’épreuve puisqu’elle causera bien des ennuis à tous les concurrents. Au deuxième tour, Kling pulvérise sa monture. Une vingtaine de boucles plus tard, c’est Moss qui doit s’arrêter suite à un nouveau souci de pression d’essence. Mais comme cela était autorisé à l'époque, les deux pilotes récupérèrent la monoplace de Hermann pour continuer la course. Le trio acheva l’épreuve en quatrième place, loin du vainqueur et dominateur Fangio. A noter que lors de ce grand-prix, seuls deux pilotes, dont l’argentin, purent terminer la course sans changement de pilote. Puis arriva la fameuse épreuve du grand-prix de Monaco, le pire week-end de la W196. Pourtant, tout semblait bien parti pour l’équipe allemande, Fangio sécurisant la pole position, bien que Hermann subisse un gros accident lors des essais, laissant son volant aux mains d’André Simon. Le début de course était aussi prometteur, l’argentin devançant Moss une bonne partie de la course mais pile au milieu de l’épreuve, la première flèche d’argent s’immobilise, transmission cassée. L’anglais récupère donc la première place et la garda une trentaine de tours, avant que son moteur n’explose. Coup dur pour Mercedes qui venait de perdre sa dernière voiture encore en piste, Simon ayant renoncé très tôt lui aussi. Après cette manche éprouvante pour le team allemand, retour sur les terres du début de leur folle machine, le circuit de Spa-Francorchamps. Et sur les sinueuses mais rapides routes de campagne belges, les W196 sont à la fête. Partis derrière l’étonnant Castellotti et sa Lancia, Fangio et Moss ne mirent pas longtemps avant de monopoliser le haut du tableau jusqu’à l’arrivée. Mercedes est en fête, mais la semaine suivante, leur histoire bascula.

Le 11 Juin 1955, le Mans. Pour ces 24 Heures du Mans, la bataille fait rage entre Mercedes et Jaguar. A 18h28, la Mercedes de Pierre Levegh décolle et s'écrase en bord de piste, projetant de très nombreux éléments en direction des tribunes, dont le moteur et le capot avant. La scène est terrible. En tout, 84 personnes perdirent la vie, la plus grande tragédie du sport automobile. Profondément touché, Mercedes demande le retrait de ses voitures en pleine nuit. Pour la Formule 1, le sort sera le même : les W196 quitteront les circuits à la fin de l’année et ne seront pas remplacées. Il leur reste encore trois courses à disputer, trois courses pour dominer encore plus la discipline. A Zandvoort, les trois flèches d’argent de Fangio, Moss et Kling occupent les trois premières places sur la grille de départ. Elles ne seront jamais inquiétées, excepté pour Kling, obligé de renoncer sur casse moteur. Ses deux équipiers ne se quitteront jamais et croiseront la ligne presque côte à côte, l’argentin devant pour trois petits dixièmes de seconde. Pour sa pénultième apparition en course, Mercedes aligne quatre W196 à Aintree. Cette quatrième monoplace est confiée à Taruffi. Toutes dans le top 5 après l’exercice du tour chrono, elles mèneront une course des plus extraordinaires, ne laissant que des miettes à la concurrence. Pour une fois, c’est Moss qui s’impose, deux dixièmes devant Fangio, une minute devant Kling, un tour devant Taruffi. C’est le carton pour les gris, le quadruplé, évènement rare en catégorie reine. Avec sa deuxième place, le déjà double champion argentin accroche une troisième étoile à son palmarès, devenant le pilote le plus capé, record qui tiendra jusqu’en 2002 et l’égalisation de cinq titres par Schumacher. Puis arriva le moment de la dernière sortie, et quel endroit pour ce faire : Monza. Déjà très rapide, le tracé italien se voit modifié avec l’ajout d’un impressionnant anneau incliné en béton, rallongeant de presque quatre kilomètres la longueur du circuit. La vitesse de pointe est encore plus importante sur cette variante et c’est pour cette raison que la marque à l’étoile ressort les fameuses W196S carrossées, uniquement pour Fangio et Moss. A l’inverse, Kling et Taruffi se contentent de la simple W196, moins rapide mais plus agile. Finalement, l’écart entre les deux voitures restera minime. Au terme des cinquante tours de course, la W196S du champion en titre l’emporte, six dixièmes devant la W196 du régional de l’étape Taruffi. Moins de chance pour les deux autres, de nouveau touchés par les pépins mécaniques.

Au final, la Mercedes W196, et sa déclinaison aérodynamique, la W196S, auront remporté neuf courses, huit poles, dix-sept podiums et neuf meilleurs tours en course. Elle aura surtout marqué son temps, de part son ingéniosité et ses performances, de l’autre grâce à sa carrosserie enveloppante étonnante. C’est d’ailleurs la seule monoplace carrossée à s’être imposée en Formule 1, une chose qui n’arrivera désormais plus, sauf si un éventuel changement de réglementation le permettait. Mais après les tragiques événements des 24 Heures du Mans 1955, Mercedes se résigna à retrouver l’élite du sport automobile. Ce retour se fit à petite dose, tout d’abord en tant que motoriste F1 dans les années 90, avant leur retour en Sarthe en 1998 (et ses fameux décollages l’année suivante), puis en tant qu’écurie de Formule 1 officielle en 2010, avec le palmarès que l’on lui connait aujourd’hui.

La Mercedes W196 (S) en chiffres...

Grands-prix :

12

Victoires :

9

Podiums :

17

Poles Position :

8

Meilleurs Tours :

9

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