McLaren MP4/4

La perfection est impossible à atteindre en Formule 1. Certains l’ont pourtant frôlé en 1988…
N’est-ce pas là la saison la plus dominée de l’histoire ? La Formule 1 a bien évidemment connu la suprématie des Alfa Romeo de 1950 et des Ferrari en 1952 et 1953 mais depuis, aucune écurie n’a tout raflé. Il faut dire que depuis ses débuts, la F1 n’a cessé d’évoluer et la concurrence s’est toujours montrée de plus en plus féroce. Certes, certaines périodes auront été bien moins disputées avec des voitures sortant du lot mais une hégémonie totale, il n’en est plus question depuis des lustres. Et pourtant, en 1988… Revenons quelques années en arrière. Durant les 80’s, le combat Renault-Ferrari-Brabham s’est vite vu éclipsé par McLaren et Williams, les deux teams anglais écrasant presque tout sur leur passage. Leurs armes ultimes étaient pourvues des meilleurs châssis, des meilleurs pilotes et des meilleurs moteurs. Rien d’étonnant à ce que la machine ne s’enraye pas. Alors lorsque l’écurie de Woking annonce une collaboration Prost-Senna, un moteur turbo Honda surpuissant et une monoplace dessinée par Gordon Murray et / ou Steve Nichols, tout le monde s'attend à un monstre à dévorer le bitume. Les deux hommes ne s’entendront d’ailleurs jamais pour ce qui est de la genèse de la MP4/4, digne descendante de la MP4/3. Pourtant, cette nouvelle voiture n’a rien à voir avec sa prédécesseure, si ce n’est la livrée rouge et blanche iconique. Le V6 TAG-Porsche ne donne plus satisfaction et c’est le bloc Honda, piqué chez la rivale Williams, qui poussera la nouvelle monture anglaise. Le nouveau V6 nippon est entièrement retravaillé si bien que la place prise dans le châssis est minime, un avantage que ses concepteurs ne tarderont pas à utiliser. Avec presque 650cv sous la pédale d’accélérateur, le bloc turbocompressé de 1.5L devrait faire des émules, notamment grâce à son petit embrayage, abaissant sensiblement le centre de gravité. Rien d’étonnant à ce que la MP4/4 soit si basse, à la limite même du règlement. Sa ligne racée, près du sol, rappelle inévitablement la Brabham BT55 de 1986 conçue par … Murray ! En dégageant au maximum la carrosserie jusqu’à l’imposante aile arrière, les ingénieurs de McLaren créent ici un modèle se rapprochant sensiblement de ce qui se fait outre-Atlantique où les vitesses sont démentielles sur ovale. La position du pilote en est impactée car dorénavant, c’est couché que Prost et Senna piloteront. La finesse de son museau tranche également avec l’ancienne machine large et pataude. De plus, une inédite boîte de vitesses longitudinale à trois arbres est mise en place, une révolution pour l’époque. Sur le papier, la McLaren a tout d’une gagnante si bien que Ron Dennis lui-même tend à prendre le pari de tout gagner en 1988. S’enflamme-t-on chez les rouge et blanc ? Réponse au Brésil….
Avant que le circuit de Jacarepagua ne devienne le premier terrain de jeu de la MP4/4, des tests collectifs sont organisés à Imola. Personne ne pouvait alors s’attendre à ce qui s’y passerait. Il est pourtant bon à savoir que la nouvelle création de Woking venait d’être dessinée au tout dernier moment et qu’il s’agissait là de ses vrais premiers tours de piste. Quelle ne fut pas la mauvaise surprise des concurrents lorsque leurs chronos furent abaissés de deux secondes pleines en quelques tours. Le petit monde de la F1 venait de comprendre : la machine ultime venait de débarquer. Neuf jours plus tard, ce petit cirque se rend au Brésil, terre d’Ayrton Senna, le petit nouveau, chouchou de Dennis et recommandé par Prost. S’il ne fait pas vraiment de doute que le team anglais dispose de la meilleure paire possible, quid de leur comportement en piste vis-à-vis de l’autre ? Difficile à dire pour l’heure. Les premières qualifications de l’année voient le pauliste rafler la mise avec une brillantissime pole position chez les siens, six dixièmes devant son équipier, touché par quelques ennuis mécaniques. Seul Mansell et sa Williams parviennent à s'immiscer entre les deux McLaren. Le brésilien entend bien triompher devant son public mais au moment de s’élancer, son sélecteur de vitesse casse. La procédure de départ est interrompue. Ce petit laps de temps permet à Senna de courir vers son mulet pour s’élancer des stands, une manœuvre bien évidemment prohibée. De ce fait, seul Prost représente le giron McLaren sur la grille et dès l’extinction des feux, le français fait parler la poudre. Mansell n’aura pas le loisir de virer en tête au premier virage. Dès lors, le double champion devient imperturbable. Même après son unique arrêt aux stands, personne ne peut lui ravir la première place et c’est donc selon toute logique qu’il remporte, aisément, ce premier succès de 1988, bien qu’étant très juste niveau consommation. De l'autre côté du garage, l’ambiance n’est pas aussi bonne. Bien qu’ayant dépassé plus de vingt monoplaces en une quinzaine de boucles, Senna se voit inévitablement disqualifié à mi-course alors qu’il était déjà revenu au deuxième rang. La déception est immense pour le local de l’étape qui sait pourtant que sa meilleure chance de couronne mondiale se tient aujourd’hui entre ses mains. Revanche est prise à Imola. Là où les MP4/4 avaient collé presque deux secondes aux autres en tests, elles les feront passer pour une catégorie inférieure en ce début Mai. Trois secondes et demie, voilà ce qui sépare le poleman Senna du troisième, la Carioca Piquet et sa Lotus, pourtant animée par le même bloc nippon. Prost est repoussé à huit dixièmes mais sa science de la course pourrait bien l’aider le dimanche. Avec tant d’écart, inutile de savoir quelle voiture gagnera. Dès le départ, le français patine excessivement et se retrouve englouti dans le top 10 à l’abord de Tamburello. Si sa remontée aux avant-postes ne prend que peu de temps, son équipier est déjà trop loin pour être menacé, surtout sur un circuit où la consommation d’essence est un réel problème. Tour après tour, les McLaren creusent l’écart, reprenant, au minimum, deux secondes sur les plus proches adversaires. Rien d’étonnant à ce que sous le drapeau à damier, personne d’autre ne soit dans le même tour que les leaders. Un succès partout, le match est lancé. La troisième partition de la MP4/4 se joue à Monaco, un tracé comme nul autre dans le calendrier mais qui n’offrira pas pour autant plus de chance à la concurrence. La petitesse de la piste devrait pourtant réduire les écarts mais face à un brésilien des grands jours prenant le double de risques par rapport à son voisin de garage, le classement fait mal. Pole position avec 1,5 secondes d’avance sur Prost et 2,7 secondes sur Berger, la messe est dite. Son pilotage à la limite des rails impressionne, voire terrifie. L’erreur est interdite ici entre les rails mais le Pauliste s’en moque et surtout, il se montre métronomique. Le jour du grand-prix, il se montrera plus solide que jamais, enchaînant les chronos les plus rapides, là où sur l’autre McLaren, Prost bouillonne une cinquantaine de tours derrière la Ferrari de Berger qu’il finira par dépasser en surprenant l’autrichien dans la ligne droite des stands. Le deuxième doublé des anglais semble assuré si bien que Dennis ordonne à Senna, alors leader avec presque une minute d’avance, de ménager sa monture pour ne prendre aucun risque. Problème, cette baisse de régime entraîne une légère déconcentration et au soixante-septième passage, la MP4/4 frappée du n°12 tape les rails au virage du Portier. Magic Senna est dévasté, lui qui maîtrisait si bien son sujet. Le français récupère donc un succès chanceux, reprenant l’ascendant sur son nouvel équipier. Après trois meetings, personne n’aura pu lutter face aux anglaises et personne ne s’attend à pouvoir le faire. Il faut dire que seul Mansell aura devancé les monoplaces de Woking et ce, sur une centaine de mètres. L’hégémonie ne faisait que commencer…

Imola - Tests hivernaux (1988)

Jacarepagua (1988)

Imola (1988)

Imola - Tests hivernaux (1988)
Après ce bref passage européen, c’est en Amérique du Nord que se dirige le peloton de fous furieux. Toutes les équipes apportent des modifications à leurs montures avec le mince espoir de grignoter un peu du retard prit sur McLaren mais personne ne se fait d’illusion. Il sera à nouveau impossible de les approcher à Mexico. Sur le tracé des frères Rodriguez, les MP4/4 profitent de leur turbo pour garder cette puissance qui manque cruellement aux moteurs atmosphérique en raison de l’altitude. L’histoire se répète à nouveau en qualifications avec une quatrième pole consécutive pour Senna, largement devant Prost et Berger, aux trousses du français. Y a-t’il un mince espoir de voir Ferrari triompher ? Pas vraiment. Le bloc italien consomme bien trop et la belle F187/88C use bien trop ses gommes. La terrible cabriole de Philippe Alliot fait le tour des télévisions mais le grand-prix sera bien plus sage. Comme très souvent, l’une des deux anglaises peine à démarrer, et c’est celle du poleman qui est touchée ici. Avec un second rapport récalcitrant, le brésilien perd d’emblée du terrain sur Prost, solide leader. L’écart entre les deux monoplaces demeure constant tout au long de la course, bien que les deux pilotes ne ménagent pas leurs montures respectives, abaissant tour après tour le record en piste. Sous le drapeau à damier, rien ne change. Prost : 3, Senna : 1. L’aventure américaine se poursuit à Montréal, sur l’Ile-Notre-Dame. Le tracé, remanié pour l’année 1988, ne convient toujours pas aux pilotes qui le jugent terriblement étroit et dangereux. Cela n’empêche pas les McLaren-Honda de performer comme à l’accoutumé. Senna devant, Prost juste derrière, Berger troisième à une seconde, voilà un nouveau bis repetita du début de saison et le grand-prix n’échappera pas à ce scénario désormais reconnu. Malgré les préoccupations sur la consommation d’essence, les MP4/4 ne mettront pas longtemps à s’envoler. Si le français récupère la tête dès l’envol, le Pauliste se maintient dans ses échappements et à l’épingle du Casino, il porte une attaque décisive sur le double champion. Cette fois, les jeux sont faits, reçu 5/5 pour les hommes de Ron Dennis à qui rien n’est laissé au hasard. Il s’en faut pourtant de peu à chaque course pour que tout soit perdu. Avec l’abaissement de la taille des réservoirs et l’interdiction de ravitailler en carburant, les machines anglaises s’arrêtent toujours juste après la ligne d’arrivée tant la panne sèche les guette. Ce bref passage de l’autre côté de l’Atlantique se conclut sur le navrant tracé urbain de Détroit. Sur ce genre de circuit exigu, Senna se montre davantage en confiance que l’autre pilote McLaren, décevant quatrième en qualifications à cause d’un trafic trop intense. Le grand-prix sera une catastrophe monumentale pour la Formule 1, bien loin de ses standards de l’époque. Murs en béton mal placés, rails qui traversent la piste, chicanes dangereuses et délabrement du bitume, voilà un florilège de défauts qui ne feront pas les affaires de la ville de Ford. Le brésilien fonce sans réfléchir au travers du béton et des voitures plus lentes si bien qu’en à peine vingt tours, ils ne sont déjà plus que cinq dans la même boucle. Rapidement défait des deux Ferrari fragiles, le français ne force pas et assure, d’où cet écart abyssal de presque quarante secondes sous le drapeau à damier. Trois partout, voilà qui donne du suspense à ce championnat déjà plié au tableau des constructeurs. Mais qu’en sera-t-il de l’ambiance chez les anglais ? La tension commence déjà à se faire ressentir…
Après ce passage au Michigan que les pilotes auraient bien évité, la F1 retrouve le Vieux Continent et la France pour une épreuve sur le tracé court du Castellet. La piste varoise est idéale pour les MP4/4 et pour Prost, enfin de retour aux affaires avec sa première pole position en plus de deux ans, cinq dixièmes devant Senna. Sur ce genre de circuit permanent, le français est davantage à son aise, un plus lorsque l’on sait qu’il n’y a qu’en Australie que les monoplaces arpenteront la ville. Le départ du double champion est excellent, au contraire de son équipier qui perd quelques positions face aux voitures rouges. L’ordre initial est rapidement rétabli et le ballet des MP4/4 reprend de plus belle mais cette fois, il y a du changement dans l’air. Avec une usure des gommes prononcée, les pilotes s’arrêtent successivement aux stands, Senna avant Prost. Profitant de ses gommes fraîches, le brésilien s’empare du commandement mais l’autre McLaren n’est pas loin derrière. Les deux monoplaces se suivent à quelques mètres d’intervalle quant au 61e tour, Senna se retrouve bloqué derrière Martini, à un tour, dans la courbe de Signes. Prost analyse très vite la situation et se jette à l’intérieur dans le double droite du Beausset, raflant la mise en dépassant les deux voitures. C’est donc un Alain Prost des grands jours qui s’impose chez les siens devant Senna, offrant alors un quatrième doublé consécutif aux rouge et blanc, visiblement dans une autre classe. A Silverstone, les McLaren évoluent avec une nouvelle carrosserie et la suppression des entrées d’air pour les freins arrière mais ce changement ne plaît guère aux pilotes qui, pour la première fois de l’année, sont devancés par les Ferrari de Berger et Alboreto sur la grille de départ. Les MP4/4 ne sont donc pas infaillibles ? Du côté des Rouges cependant, on ne se fait pas d’illusion. La consommation excessive du V6 Turbo italien sera une belle épine dans le pied. Mais le jour de la course, un nouveau paramètre entre en jeu : la pluie. Le temps est exécrable sur la campagne anglaise et la visibilité quasi nulle. Pour la première fois, ce n’est pas une McLaren qui mène les premiers kilomètres mais bien une Ferrari. Il faudra quatorze passages pour que le brésilien renverse la tendance pour s’envoler vers une victoire certaine. D’ailleurs, le dépassement pour la gagne s’opère grâce à un Prost excessivement lent, déjà retardé, bloquant involontairement la monoplace italienne. Ce dernier n’ira pas beaucoup plus loin, préférant mettre pied à terre plutôt que de prendre des risques jugés inutiles selon ses dires. Loin des points, il n’avait strictement rien à jouer mais ce retrait volontaire ne sera pas sans conséquences pour son championnat. Pour ne rien arranger, le rendez-vous allemand de Hockenheim se tient sous des conditions similaires. Si l’exercice du tour lancé se déroule sous un franc soleil, la pluie balaie l’Allemagne le dimanche. Parti de la pole, Ayrton ne sera jamais inquiété et maîtrisera magistralement sa monture sur cette interminable piste. Cela faisait bien longtemps que la Formule 1 ne roulait plus au-dessus des deux minutes par tour… Mais si l’un se montre relativement à l’aise, l’autre patauge. Certes, les conditions ne sont pas aussi désastreuses qu’à Silverstone mais l’eau peine à s’évacuer dans la partie forestière. Le français sera d’ailleurs quitte pour une petite frayeur avec un tête-à-queue et un contact avec un retardataire mais même avec ces imprévus, la seconde MP4/4 domine la concurrence. Les deux pilotes s’offrent même le luxe de bien ralentir sur la fin pour ménager leurs gommes bien usées sans pour autant perdre de temps. Neuvième victoire de rang pour McLaren, un record qui efface l’ancien déjà détenu par l’équipe de Woking trois ans auparavant. Alors que la mi-saison est franchie, le championnat passe un cap. Désormais, c’est Senna qui mène la danse au nombre de victoires mais pas au niveau des points. Or, à cette époque-là, seuls les onze meilleurs résultats sont retenus. La course au plus grand nombre de succès ne fait que commencer…

Monaco (1988)

Le Castellet (1988)

Spa-Francorchamps (1988)

Monaco (1988)
Deux semaines plus tard, le combat reprend de plus belle sur le Hungaroring. Il s'agit là du circuit le moins optimal pour les MP4/4 en raison des virages lents et des petites lignes droites dont n’est pas friand le turbo. A l’inverse, les moteurs atmosphériques devraient être à la fête, à commencer par les Judd et les Ford-Cosworth des Williams et Benetton. Si ces machines se montrent les plus véloces dans un premier temps, la pole position n’échappe pas à Senna mais derrière lui, les écarts sont faibles. Ils sont même si petits que Prost, pourtant lointain septième, n’est qu’à une seconde de son équipier. Ce désavantage sur la grille de départ lui coûtera probablement la première place le dimanche. Durant tout le grand-prix, le brésilien peine à se défaire de Boutsen, Patrese et Mansell, vite rejoints par l’autre McLaren. Le tir groupé sera malmené au passage des voitures plus lentes mais Magic tient bon et repousse toutes les attaques. Après l’élimination de Mansell et de Patrese, ils sont encore trois à pouvoir prétendre à la victoire. Le rythme du pauliste n’est pas fantastique et dès que le français trouve l’ouverture sur le belge, il se lance aussitôt dans les roues de son adversaire. Une magnifique manœuvre est tentée dans le premier virage mais en sortant large et dans les dépôts de gomme, la McLaren n°11 perd de l’adhérence, ce dont profite immédiatement le brésilien qui reprend son bien pour ne plus le quitter. La bataille est belle mais une fois encore, les rouge et blanc triomphent sur un circuit qui ne leur était pas favorable. Avec cette première place, Senna fait un pas de géant vers le titre en menant six à quatre au jeu des victoires. Si Prost ne s’avoue pas vaincu pour autant, il commence cependant à douter de l’équité de son équipe vis-à-vis de son équipier. Quelques jours plus tard, le monde du sport automobile est en deuil : Enzo Ferrari s’en est allé le 14 août 1988. L’empreinte qu’il aura laissée dans le monde de l’automobile reste encore aujourd’hui impressionnante. Les italiens pleurent Il Commendatore, le grand industriel qui aura fait vibrer et fait encore vibrer aujourd’hui un pays entier. Les tifosi auront à cœur de voir briller les leurs sur leur piste de Monza mais avant la manche transalpine, ce sont les Ardennes belges qui accueillent la Formule 1. La pluie est encore très présente et les rares éclaircies obligent la meute à sortir au même moment pour signer le meilleur temps possible. Cela ne perturbe en rien les McLaren, de nouveau en première ligne dans l’ordre habituel : Senna-Prost. La météo est au beau fixe en ce jour de course, une course qui sera loin d’être haletante. Débordant son équipier au premier virage, le français ne peut résister à la vélocité de la MP4/4 de Senna, pris dans son aspiration dans la ligne droite de Kemmel. Le dépassement se conclut aux Combes et dès lors, le classement demeurera inchangé. Optant pour une configuration aérodynamique à plus faible appui, le Professeur use excessivement ses gommes dans les parties sinueuses. Jamais il ne sera en mesure d’accrocher le train brésilien. Avec une septième victoire, Magic se porte sur une voie royale pour un premier sacre. Une couronne que sécurise déjà le team de Woking à quatre meetings du but. Encore quatre triomphe et le grand chelem sera acté… La course suivante à Monza se déroule donc sans Enzo mais avec Ferrari, sèchement battue par les McLaren que rien n’arrête. En qualifications, les MP4/4 sont encore et toujours les plus rapides, ne laissant que peu de doutes sur un potentiel nouveau succès. Si le départ se passe sans encombre, Prost rencontre rapidement quelques soucis sur son V6 Honda, le conduisant à l’abandon, le premier pépin mécanique de l’anglaise depuis ses débuts en grands-prix. Senna mène sans être inquiété mais sa consommation excessive l’oblige à ralentir, réduisant l’écart le séparant des Ferrari de Berger et d’Alboreto qui tiennent leur rythme habituel. Tout est sous contrôle, enfin, presque. A deux tours du but, le brésilien, qui a quasiment course gagnée, rencontre Schlesser, remplaçant de dernière minute de Mansell, qui dispose d’un tour de retard. En s’écartant pour laisser filer le leader, le français bloque ses roues et escalade les vibreurs du premier virage alors que Senna s’immisce devant. Le contact, aussi léger soit-il entre les deux monoplaces, suffit à faire légèrement décoller Senna qui retombe sur un vibreur, moteur calé. C’est la fin pour Magic. Les deux Ferrari volent la vedette aux McLaren, s’imposant pour le plus grand bonheur des tifosi venus en nombre saluer la mémoire d’Enzo Ferrari. Les italiens sont en liesse, là où les anglais peinent à cacher leur amertume. Deux tours, voilà ce qu’il aura manqué pour marquer l’histoire. Ayrton ne peut s’en vouloir qu’à lui-même. Son excès d’optimisme et son trop grand risque pris pour passer dans cette chicane exiguë n’auront pas payé cette fois-ci…
Il ne reste que 4 courses et Senna est incontestablement le grand favori. Une victoire lui assurerait le titre. C’est tout d’abord à Estoril que reprend ce match qui anime les journaux du monde entier. Furieux et dépité de sa mésaventure de Monza, la pauliste se retranche, se renferme. Il faut dire qu’en coulisses, les choses commencent à chauffer entre Prost - Senna - Dennis - Honda. En qualifications, c’est le français qui ramasse la pole position, de quoi se rappeler aux bons souvenirs de tous. Le départ sera crucial et dès l’extinction des feux, les positions s’inversent mais derrière, c’est la débandade. Les accrochages se multiplient sur la grille avec les voitures calées. Le drapeau rouge est de sortie et les monoplaces rescapées sont quittes pour une seconde procédure. Pour éviter de se faire passer, Prost tasse ostensiblement son grand rival vers l’herbe mais il est trop tard, Ayrton est passé. Piqué dans son orgueil, le double champion se cale sous l’aileron arrière de l’autre MP4/4 pour le déborder en sortie de parabolique. Le brésilien ne se laisse pas faire et bloque son équipier contre le mur des stands. Les roues sont à quelques centimètres d’écart mais le Professeur ne démord pas et poursuit sa manœuvre. Sa pugnacité est récompensée par un dépassement réussi. Si les McLaren s’envolent vers une course idéale une fois encore, leurs moniteurs de bord annoncent une surconsommation de carburant. Celui de Senna annonce même un seuil critique, l’obligeant à nettement ralentir la cadence, de quoi laisser Capelli filer en seconde position. Derrière lui, Mansell se montre très pressant mais lorsque Palmer, alors à un tour, perd le contrôle devant les deux hommes, l’accrochage est inévitable. Le moustachu emboutit la MP4/4 qui tape les barrières. La monoplace est légèrement abîmée mais qu’importe, Ayrton veut terminer la course. Il y parviendra avec la sixième place finale et un réservoir encore bien rempli, son ordinateur lui envoyant des informations erronées depuis le début. Pour Prost, rien à signaler. Sa maîtrise est parfaite mais le titre semble déjà oublié pour lui. Reste que l’incident du départ ne sera pas sans conséquence dans l’historique des deux hommes. A Jerez, cette manœuvre dangereuse de Senna est sur toutes les lèvres, de quoi déstabiliser le malheureux qui ne répond dès lors plus aux journalistes. Sur le circuit andalous vide de spectateur, l’histoire est la même. Deux McLaren en première ligne, un Prost offensif qui prend la tête, un Senna limite question carburant qui ne peut résister à Mansell et Nannini, une course plus que banale en somme. Le titre n’est toujours pas acquis pour le Pauliste au moment de se rendre à Suzuka, fief du motoriste Honda. Les nippons ne cachent pas leur grande affection pour Magic mais annoncent publiquement que la parité a été et sera toujours respectée entre les deux pilotes. La tension monte d’un cran avec les qualifications, exercice ô combien apprécié par le leader du championnat qui s’y accommodera très bien avec une douzième pole position, juste devant l’autre MP4/4. Le ciel est couvert et le crachin guette au moment de s’élancer. A l’extinction des feux, Senna peine à trouver sa première vitesse et manque totalement son envol, au contraire de Prost qui creuse rapidement l’écart. Retombé quatorzième, le brésilien cravache comme jamais pour remonter dans la hiérarchie. Ses dépassements sont insensés mais payent à chaque fois si bien qu’après vingt tours, il se trouve déjà dans le sillage de son équipier. La pluie légère rend le pilotage complexe mais dans ces conditions, le petit prodige démontre toute l’étendue de son talent et l’absence de craintes. Au vingt-huitième passage, l’attaque est lancée. Comme à Estoril, les deux monoplaces sont très proches, presque trop, mais au bout du compte, c’est bien la n°12 qui vire en tête. C’est ce moment précis qui fera basculer à tout jamais le championnat. Ayrton vole alors littéralement sur la piste qui se voit noyée sous les eaux pour les derniers tours. Sous le drapeau à damier, Ayrton Senna exulte: le voici champion du monde de Formule 1, un rêve devenu réalité pour celui qui impressionne son monde. Prost s’avoue vaincu, en grand champion qu’il est, mais évidemment frustré de ne pas avoir montré les crocs plus souvent. La dernière manche en Australie n’y changera rien. Le récent champion rafle la pole mais c’est le doublement étoilé qui s’impose le dimanche devant son équipier, un temps menacé par un Berger en grande forme, finalement stoppé par ses freins et un accrochage avec Arnoux. Ce dixième doublé des rouge et blanc est historique, tout comme cette saison, qui ne sera finalement que le prémisse d’une campagne 1989 impitoyable…

Monza (1988)

Estoril (1988)

Suzuka (1988)

Monza (1988)
Le bilan de l’année 1988 de McLaren est imparable. Jamais une monoplace n’avait autant dominé depuis l’ère Alfa Romeo / Ferrari du début des années 50. Difficile de croire que seuls vingt-huit tours en tête ont échappé aux machines de Woking. La défaite de Monza dans les tous derniers instants restera l’un des moments phares de cette saison écrasée par le tandem McLaren-Honda et sa paire Senna-Prost. Il est cependant important de noter qu’au total des points, c’est bien le français qui remporte la mise mais le règlement étant ainsi fait, c’est bien le Pauliste qui récoltera les lauriers grâce à sa plus grande régularité. Reste que l’ambiance se sera détériorée au fur et à mesure de l’avancée du championnat, de quoi augurer une bien détonante campagne 1989 sans turbos…
La McLaren MP4/4 en chiffres...
Grands-prix :
16
Victoires :
15
Podiums :
25
Poles Position :
15
Meilleurs Tours :
10