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Matra MS80

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A la fin des années 60, la Formule 1 entame sa première révolution aérodynamique. L’une d’entre elle s’y acclimata plutôt bien : la Matra MS80.

En 1967, l’écurie Matra, très présente dans le monde de l’endurance et des Formules de promotion, débarque en Formule 1, notamment grâce au partenariat avec Ken Tyrrell, fournisseur des V8 Cosworth en Angleterre. Après deux succès en 1968 avec Jackie Stewart, la petite structure française cherche désormais à concurrencer plus souvent les Lotus et autres Ferrari pour la victoire finale. Ainsi, Matra décide de créer une toute nouvelle voiture, quelque peu révolutionnaire, pour la saison 1969. Sous le nom de MS80, le petit bolide bleu ciel se distingue très nettement de sa devancière. Tout d’abord, le réservoir d’essence, auparavant placé derrière le pilote, se trouve désormais de par et d’autre de celui-ci dans des pontons fait sur-mesure. Le réservoir d’huile, souvent placé à l’avant avec le radiateur, passe quant à lui derrière le siège. De plus, les ailerons avants et arrières, apparus en 1968 en Formule 1, sont de nouveau de la partie. Ceux-ci viendront à changer en cours de saison, modifiant grandement la ligne de la voiture. Les suspensions sont également un élément autour duquel un gros travail aura été effectué, notamment dans la manière de régler chaque élément en fonction du dessin de la piste. Au niveau du moteur, c’est donc le V8 Cosworth de 3L qui pousse les monoplaces bleues avec ses presque 420 cv. Derrière le volant, Stewart est à nouveau de la partie, tout comme Beltoise et ce, durant la totalité de la saison 1969. Pour autant, le premier rendez-vous de l’année ne voit pas débarquer les MS80, encore trop peu fiables sur la durée. Ce sont donc les vieilles MS10 de 1968, agrémentées d’un imposant aileron, qui font leur grand retour. Mais bien avant le coup d’envoi de la saison, les Matra étaient déjà en piste à Kyalami pour mener des tests grandeur nature avec les nouveaux pneumatiques Dunlop. Bien préparés, les bolides français partent donc favoris malgré l’âge des montures. Et l’entrée en matière est plutôt réussie. Seulement quatrième et onzième sur la grille, les Matra offrent une réelle démonstration en course, notamment Stewart, solide leader depuis le premier virage. Beltoise parvient à compléter le top 6 formé uniquement de voitures à moteur Cosworth. La MS10 et ses deux imposants ailerons auront donc tenu bon jusque dans les derniers instants. Désormais mise au musée, la place est alors libre pour la nouvelle création de Bernard Boyer : la célèbre MS80.

Avant son apparition officielle au championnat du monde de Formule 1, la MS80 effectue ses grands débuts lors de la Course des Champions, disputée sur le tracé de Brands Hatch. Comme en Afrique du Sud, Stewart vole littéralement sur la piste, ne laissant à ses adversaires que le loisir d’observer ses échappements. Facile vainqueur, l’écossais démontre d’emblée le potentiel de sa machine, au grand désarroi de ses adversaires, déjà inquiets pour la saison 1969. Et c’est sur le tout nouveau tracé de Montjuïc que la Matra affronte ses vraies concurrentes pour la première fois. Avec son aileron arrière haut perché et ses larges ailettes avants, la MS80 se confond parmi les autres voitures. Mais après les qualifications, Stewart et Beltoise sont peu à l’aise avec leur nouvelle monture, jugeant la tenue de route plutôt mauvaise. De plus, le moteur Cosworth de l’écossais ne lui donne pas satisfaction et exige l’installation de l’ancien bloc Matra, bien moins puissant. En course, les Lotus, Ferrari et BRM prennent le dessus mais sur les bosses espagnoles, la mécanique se porte mal. Chez Lotus, les ailerons, alors placés sur les suspensions, se brisent, envoyant leur pilote, Hill et Rindt, dans le décor. Au fur et à mesure que les tours s’égrainent, les abandons se multiplient. Toujours en piste, les MS80 résistent et au terme de l’épreuve, les voici premières et troisièmes. De nouveau premier, Stewart s’impose, deux tours devant le second McLaren, un écart des plus étonnants. Plus que la nouvelle Matra, ce sont les casses successives des ailerons qui font parler dans le paddock. Jugés trop fragiles et trop dangereux en cas de bris, ces derniers représentent pourtant un bon en avant dans les performances aérodynamiques des Formule 1. Ainsi, à Monaco, trois jours avant la course, la Commission Sportive Internationale bannie purement et simplement ces appendices arrières pour la manche monégasque. Ken Tyrrell est l’un des premiers à montrer son mécontentement car cette interdiction n’est pas précisée dans le règlement officiel et souhaite donc le passage de l’épreuve en tant que course hors-championnat. Ceci est bien évidemment refusé et c’est donc dépourvues d’aileron arrière qu’évoluent les machines bleues françaises. Pour autant, Stewart réalise la pole position alors que Beltoise s’installe en troisième position sur la grille. Les Matra semblent être les voitures à battre mais à partir du vingtième tour, et en l’espace de deux boucles, les deux voitures s’arrêtent, cardan cassé. La déception est visible sur les hommes de l’écurie française mais la saison est encore longue et la MS80 n’en est qu’à ses débuts.

Le quatrième grand-prix de la saison se déroule sur le rapide tracé de Zandvoort, aux Pays-Bas. Normalement, la Formule 1 devait se rendre sur le long et dangereux circuit de Spa-Francorchamps mais pour raison de sécurité, la GPDA pousse à l’annulation de la course. Ce sera chose faite quelques semaines avant la manche hollandaise, pour la plus grande satisfaction des pilotes emmenés par Stewart. Après l’interdiction ferme de la présence des ailerons hauts à Monaco, le CSI revient sur ses propos et autorise à nouveau ces appendices tout en ajoutant certaines règles de sécurité. Ainsi, les Matra retrouvent leur appui arrière avec l’apparition d’une aile placée directement sur le capot arrière, dans le prolongement de la ligne de la MS80, finalement très effilée. Dans le même temps, dans les ateliers Matra, une nouvelle monoplace voit le jour : la MS84 et ses quatre roues motrices. Pour l’instant, Stewart et Beltoise désirent réutiliser la MS80, même si l’équipe française souhaite faire courir sa nouvelle création. En course, la Lotus de Rindt mène les premiers tours mais touchée par le même pépin que les machines bleues à Monaco, la monture anglaise s’arrêta bien vite, laissant libre champ à l’écossais pour foncer vers sa troisième victoire en quatre grands-prix. Lointain huitième, le français n’aura jamais pu tirer le plein potentiel de sa voiture, souffrant d’un sous-virage très important tout le week-end. Puis arriva la manche à domicile pour Matra, le grand-prix de France à Clermont-Ferrand. Et sur leurs terres, les MS80 se comportent à merveille sur le sinueux tracé de Charade. L’écossais réalise d’ailleurs sa seconde pole position de l’année alors que quatre rang derrière lui, Beltoise, véritable chouchou du public, espère pouvoir accrocher le bon wagon. Dès l’abaissement du drapeau, Stewart part pour une nouvelle démonstration, empochant tout sur son passage. Derrière, son équipier remonte jusqu’en troisième place et se bat pour la seconde lorsque dans le dernier tour, son rival Ickx commet une erreur. Il n’en fallait pas plus pour le français qui s'infiltra devant la Brabham du belge pour assurer un magnifique doublé à domicile pour Matra. A Silverstone, si les françaises sont à nouveau favorites, c’est encore Rindt qui se montre le plus rapide en qualification. Le jour de la course, l’autrichien bataille dur face à un Stewart des grands jours, offrant au public anglais un spectacle remarquable. Mais comme trop souvent, la Lotus abdiqua trop tôt, laissant la MS80 filer vers une nouvelle victoire. Malgré une petite alerte moteur en fin d’épreuve, le leader du championnat s’impose pour la quatrième fois en cinq courses, dominant très largement le classement. Du côté de Beltoise, le grand-prix fut tout autre : prié d’utiliser la MS84 et ses quatre roues motrices, il ne parviendra jamais à se mettre dans le rythme, tournant à près de six secondes de son équipier. Il ne fait quasiment plus aucun doute sur le nom du futur propriétaire de la couronne mondiale. Du côté des constructeurs, l'histoire semble être la même. Matra caracole en tête, loin devant les Lotus et Ferrari.

La saison se poursuit sur le vertigineux tracé du Nürburgring et ses innombrables virages. Toujours très à l’aise, Ickx sait que sa seule chance de gagner une course se trouve ici. Le belge s’empare logiquement de la pole, battant de vingt-deux secondes le record de Clark réalisé en 1967. Mais si le pilote Brabham impressionne, Stewart n’est vraiment pas loin, ne rendant que trois petits dixièmes au bout des vingt-deux kilomètres du circuit. Pour Beltoise, cette épreuve est un vrai calvaire. Pris d’une grosse grippe, il peine à se montrer à son meilleur niveau. Le soleil brille pour le départ et si la Matra de l’écossais vire en tête, les problèmes débarquèrent rapidement. Touché au niveau de la boîte de vitesses, Stewart se voit contraint de ralentir s’il veut rallier l’arrivée. Ickx n’en demandait pas tant et s’empara du commandement pour ne plus jamais le quitter. Derrière lui, la MS80 tient bon malgré sa transmission bloquée en troisième ou cinquième vitesse. Moins de chance pour le français qui en plus d’être terriblement malade, voit l’une de ses suspensions rendre l’âme. En terminant deuxième, Stewart manque de peu le titre mais avec une telle avance au championnat, ce dernier ne peut lui échapper. Sur l’ultra-rapide tracé de Monza, les écuries abandonnent les ailerons pour gagner en vitesse de pointe. L’aspiration est la clé de la course et chacun sait que celui qui sera second, dans les échappements du leader à la sortie de la Parabolica sera le mieux placé pour s’imposer. Durant toute l’épreuve, le leadership change de voiture, passant entre les mains de Stewart, Rindt, Hulme ou Courage. Quand arriva le dernier tour, ils furent quatre à prétendre à la victoire : Stewart, Rindt, Beltoise et McLaren. Si les deux premiers se livrent une lutte féroce depuis le départ, les deux derniers entendent bien les coiffer au poteau. A l’entrée de la Parabolica, Beltoise freine plus tard que ses concurrents et prend la tête. Mais en sortant plus large, le français peine à réaccélérer au contraire de Stewart et Rindt. S’en suit une course de Dragsters jusqu’au drapeau à damiers, évidemment remportée par le pilote de l’année, Jackie Stewart. Il précède de huit petits centièmes son adversaire autrichien, de deux dixièmes son équipier français. Avec ce nouveau succès, l’écossais inscrit son nom au panthéon de la Formule 1 en remportant le titre de champion du monde des pilotes. De même, Matra accroche sa première étoile mondiale après avoir dominé cette saison 1969. Avec trois courses restantes, le team français espère étendre un peu plus sa suprématie lors de la tournée nord-américaine, conclusion d’une année victorieuse.

Mais à l’entame de cette dernière tournée, coup de théâtre dans le paddock. Stewart et Tyrrell annoncent leur désintérêt du projet à long terme Matra et leur iconique V12. Le duo champion se séparera donc en fin de saison après deux années de bons et loyaux services et surtout le titre en cette année 1969. Sans réel intérêt à présent, la Formule 1 conclut donc cette saison par trois épreuves nord-américaines : Canada, Etats-Unis, Mexique. A noter que pour ces trois rendez-vous, l’écurie Matra aligne de nouveau sa MS84 pour le prodige français Servoz-Gavin, un joli cadeau empoisonné. Après quelques tours, la victoire semble à nouveau se dessiner pour Stewart mais dans le ballet des retardataires, un contact l'envoie visiter les bas-côtés, heureusement sans gravité. Revenu sur ses talons, Ickx menace l’écossais mais au trente-troisième tour, les deux voitures se touchent. Poussé hors-piste, le champion du monde ne peut repartir, contrairement au belge nouveau leader. C’est l’abandon. Sur l’autre MS80, Beltoise se fait lui aussi chahuter et malgré une suspension en piteux état, il parviendra à rejoindre l’arrivée en quatrième position, deux places devant l’autre français et son étonnante machine. D’ailleurs, Servoz-Gavin devient le seul et unique pilote de l’histoire de la Formule 1 à inscrire un point à bord d’une monoplace quatre roues motrices, un exploit. Sur la piste américaine de Watkins Glen, l'équilibre aérodynamique de la MS80 les places à nouveau en tant que favorites, d'autant plus que le V8 Cosworth évolue une dernière fois, développant sa puissance maximale. Même si la pôle est ratée de peu, il ne faut que peu de tours pour voir Stewart s'emparer de la tête, avant que Rindt ne reprenne finalement son bien. C'est alors que son moteur commença à laisser échapper une fumée inquiétante. L'abandon est inévitable pour l'écossais. L'autre Matra ne s'en tira pas forcément mieux. Privée de son quatrième et cinquième rapport, Beltoise finira pas connaître la même sanction que son équipier, menant au second double retrait de la saison pour l'écurie française. Pour la dernière manche de la saison à Mexico, les essais démontrent la réelle supériorité des machines montées en Good Year. Avec leurs Dunlop, les pilotes des MS80 ne se font pas d'illusions mais comme toujours, rien n'est joué avant l'abaissement du drapeau à damier. Dès le départ, Stewart, pourtant troisième sur la grille, se propulse en tête et mène la meute. Mais après quelques tours, l'écossais manque un rapport et redescend en quatrième place. Avec des gommes moins performantes, les Matra ne peuvent rien faire. La mécanique tient le coup mais la concurrence est déjà loin devant. Ce n'est qu'au pied du podium qu'échoueront les deux MS80 pour leur dernière apparition.

Au final, la Matra MS80, c'est cinq victoires, deux pôles position, neuf podiums et six meilleurs tours. C'est aussi et surtout la grande championne de cette année 1969. Mais l'écurie française ne se le cache pas, le plus gros des performances aura été établi par Stewart. Son départ en fin de saison aura coûté cher dans l'avenir de Matra. Plus jamais les voitures bleues ne gagneront. En 1972, l'aventure Formule 1 se termine, faute de moyens et de résultats. Quant à Stewart, son association avec Ken Tyrrell sera des plus réussies, l'écossais glanant deux nouvelles couronnes en 1971 et 1973 sur les Tyrrell, bleues elles aussi.

La Matra MS80 en chiffres...

Grands-prix :

11

Victoires :

5

Podiums :

9

Poles Position :

2

Meilleurs Tours :

5

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