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Jordan 199

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Dans une saison où McLaren et Ferrari étaient partis pour dominer, une petite guêpe jaune leur infligea une piqure de rappel : la Jordan 199.

Après une folle saison 1998, toutes les écuries se tournent pour la dernière du millénaire. Si la lutte semble à nouveau s’orienter vers un duel McLaren-Ferrari, nul n’est à l’abri d’une surprise, notamment grâce à l’apparition d’une quatrième rainure sur les pneumatiques avant, demandant donc au pilote une plus grande souplesse dans le pilotage. Si la guerre des gommes fut un facteur déterminant l’année passée, elle n’aura aucun impact en 1999, Good Year ayant renoncé à sa fourniture de pneumatiques. C’est donc avec Bridgestone que s’élanceront donc les vingt-deux monoplaces. L’une de ses écuries, Jordan, avait pourtant fait irruption sur la plus haute marche du podium en 1998, évitant le grabuge du monumental grand-prix de Spa-Francorchamps. Si Damon Hill est toujours de la partie, il est rejoint par celui qui l’évinça de Williams deux ans auparavant, Heinz-Harald Frentzen. Pour succéder à la Jordan 198, Mike Gascoyne imagine la 199. Si cette dernière n'est qu'une grosse évolution de sa devancière, la nouvelle monture se distingue par de nouvelles suspensions, une caisse bien allégée ou encore un réservoir d’essence déplacé pour abaisser le centre de gravité. Du côté du moteur, Mugen Honda amène une amélioration de son V10 3L, culminant à 15 000 trs/min pour une puissance d’un peu moins de 700 ch. Pour ce qui est de la peinture, l’écurie reste fidèle à son jaune traditionnel. A noter la disparition de la tête de serpent sur le museau, remplacé par une tête de guêpe en 1999.

Une fois n’est pas coutume, la saison s’ouvre en Australie, sur le tracé urbain de Melbourne. Mais avant que ne débute officiellement cette nouvelle campagne, une toute jeune écurie épata la galerie en présentant une monoplace ornée de deux couleurs différentes de part et d’autre de la carrosserie, la British American Racing, aussi appelée BAR. Si leurs espoirs sont très grands, les performances seront des plus catastrophiques. Au contraire, les Jordan se montrent rapidement à l’aise, Hill se qualifiant neuvième, Frentzen cinquième. Au départ, l’anglais s’envole parfaitement, mais au bout de trois virages, sa 199 reste plantée dans les graviers. Pour l’autre voiture jaune, l’histoire est toute autre. Après les abandons des McLaren et grâce aux multiples problèmes de M.Schumacher, Frentzen se retrouve à se battre pour la victoire face à Irvine. Il échouera pour un peu plus d’une seconde mais quoi qu’il en soit, les débuts semblent prometteurs. Au Brésil, les monoplaces jaunes monopolisent la quatrième ligne mais en course, le classement ne cesse d’évoluer. Comme en Australie, Hill est contraint de renoncer sur accrochage alors que pour son équipier allemand, tout va pour le mieux. Si Häkkinen et M.Schumacher terminent un tour devant tout le monde, Heinz-Harald parvient à tenir la troisième place finale et ce, malgré une panne d’essence en vue de l’arrivée. La première manche européenne se déroule à Imola, là où un an auparavant, la majorité des voitures étaient équipées de “Tower Wings”, ces ailerons très hauts perchés sur les pontons, interdits dès la manche suivante. De nouveau en quatrième ligne, les 199, comme à l’habitude, ne connurent pas le même genre de course. Alors qu’elles évoluaient dans le top 6, la casse du moteur V10 d’Irvine aspergea d’huile la piste. Malheureusement pour Frentzen, le passage sur une flaque de fluide lui fut fatal. Du côté de Hill, avec deux concurrents de moins devant lui, la voie royale pour la quatrième place lui est ouverte. C’est donc au pied du podium qu’échouera la seule Jordan encore en vie à l’arrivée. Après trois épreuves, l’écurie d’Eddie Jordan conforte sa place d’outsider mais devant, les gros bras sont inatteignables.

Pour la quatrième épreuve de la saison, ce sont les rues de la Principauté qui deviennent le plateau de jeu des vingt-deux pilotes. Ce tracé, aussi exigu soit-il, est le révélateur de la bonne conception d’un châssis. Là encore, les destins des deux 199 sont bien différents. Si Frentzen se montre une nouvelle fois bien à l'aise, Hill, quant à lui, se perd dans ses réglages, ne trouvant pas le moindre soupçon de performance. Seulement dix-septième sur la grille, les espoirs de l'anglais étaient balayés avant même le départ. A l'inverse, l'allemand se qualifie dans les premiers rangs, lui permettant d'espérer de nouveaux gros points. Au bout de trois tours, l'équipe est à nouveau réduite à une monoplace. Dans une manœuvre de dépassement désespérée, le champion 1996 fracassa sa Jordan à la sortie du tunnel avant de percuter l'arrière de Ralf Schumacher. Dans le même temps, son équipier allemand profite du nouvel abandon de Coulthard ainsi qu'un dépassement sur Barrichello pour accrocher les trois points de la quatrième place. La saison se poursuit en Espagne, sur le tracé de Barcelone. Mais après les qualifications, la déception est grande. Si les McLaren et Ferrari monopolisent les deux premières lignes, les bêtes jaunes sont devancées par les Sauber Petronas, les Stewart, et plus étonnant, les BAR, du moins, celle de Villeneuve. La course sera un réel supplice pour l'écurie d'Eddie Jordan, ses voitures n'évoluant que peu de temps dans le top 6. Peu après les deux tiers de l'épreuve, le différentiel de Frentzen rend l'âme, poussant son pilote à renoncer. Sur une stratégie à un seul arrêt ravitaillement, Hill ne passera que provisoirement en cinquième place avant de s'arrêter et de finir hors des points. Avant de reprendre la tournée européenne, le petit cirque de la Formule 1 se rend au Canada, sur le circuit Gilles Villeneuve, pour le sixième rendez-vous de l'année. Sur ce tracé rapide mais exigeant avec les freins, Jordan espère mieux faire que lors des deux derniers grands-prix. Rien ne se passa comme prévu. Comme pour Zonta, Villeneuve ou M.Schumacher, Hill percute le fameux mur des champions, mur qui porta fort bien son nom en cette année 1999. Si tout semble aller pour le mieux pour Frentzen, alors second de l’épreuve, l’explosion de l’un de ses disques de freins à quelques kilomètres du but changea la donne. En s’écrasant contre les barrières dans un choc important, l’allemand se blessa sévèrement les jambes. Il dut recevoir l’aide de deux commissaires pour s’extraire de sa monture détruite, peinant à poser les pieds par terre. Et pour cause, avec une rotule fracturée et une jambe presque cassée, difficile de marcher. Et pourtant, l’allemand démontra un sang-froid inébranlable dès la manche suivante, se battant sur la piste et ce, malgré ses importantes blessures.

Et c’est à Magny-Cours, seulement quinze jours après la course folle canadienne que se tient le grand-prix de France. Pour ne rien arranger, la météo est catastrophique en ce week-end de Juin. Frentzen, à peine remis de sa convalescence, prend le risque de s’installer au volant. Pour lui, faire la course sous la pluie est bien moins désagréable que sur le sec puisque l’accélérateur n’a pas besoin d’être poussé à fond, un mal pour un bien. Même si la douleur est persistante, l’allemand tient le cinquième rang sur la grille de départ, derrière les étonnants pilotes que sont Barrichello, Alesi ou Panis. Pour Hill, cette douche française n’apporte rien de bon. Dix-huitième sur la grille, l’anglais n’ira pas plus loin que la mi-course. Si le départ est donné sur le sec, les averses tombèrent rapidement. Chez Jordan, la stratégie est claire : moins de force sur l’accélérateur signifie moins de puissance donc moins de consommation. L’idée est donc de ravitailler Frentzen en essence au maximum et ainsi le laisser sur la piste jusqu’à l’arrivée. Si les hommes d’Eddie Jordan pensent comme cela, c’est parce que la 199 dispose d’une arme de taille : un réservoir de 110 litres, bien plus gros que la concurrence. Si Häkkinen et Barrichello lui grillent la politesse au moment où la voiture de sécurité s'éclipse, l’allemand ne peut que jubiler en voyant ses principaux rivaux s’arrêter aux stands à dix tours du but. Personne n’a le temps de revenir sur la Jordan. Après la Belgique l’année passée, un bolide jaune s’impose à nouveau et cette fois-ci, sans bénéficier d’aide extérieur. Heinz-Harald est fou de joie, lui qui, quinze jours plus tôt, se blessa très sérieusement. Si la mi-saison n’est pas encore passée, certains commencent à croire aux chances de titre du petit allemand, relégué à seulement dix-sept points de la tête du championnat. A Silverstone, course à domicile pour l’équipe, les voitures jaunes se qualifient en troisième ligne, juste derrière les cadors. Alors que les feux s’éteignent, deux monoplaces restent scotchées sur la grille, entraînant l’arrêt de la course. Mais avant que les voitures ne regagnent la grille, l’impensable se produisit. Victime d’un souci de freins, M.Schumacher fonce tout droit dans les barrières à Stowe. Résultat, de multiples fractures de la jambe droite. S’en est donc fini des chances du double champion allemand en cette année 1999. Après ce terrible incident, l’épreuve repart. Toutes deux dans un très bon rythme, les 199 ne se quittent jamais, si ce n’est lors des arrêts ravitaillement. D’ailleurs, durant trois tours, les deux montures jaunes monopolisèrent les deux premières places avant de reprendre leur rang initial. Elles termineront toutes deux dans les points, quatrième et cinquième, à quelques dixièmes seulement de la troisième place de R.Schumacher. L’été semble réussir à l’écurie anglaise qui espère que ce regain de forme augmentera la motivation de Hill, quelque peu en berne suite à l’écrasante domination de son équipier. Sur l’A1-Ring, les flèches d’argent sont nettement à leur avantage mais dès le départ, c’est l’accrochage. Si quelques pilotes en profitent, Frentzen et Hill maintiennent leur position de départ. L’épreuve sera très calme et malgré la bévue du départ, les McLaren trustent tout de même deux marches sur le podium, bien qu’étant derrière la Ferrari d’Irvine. Quatrième, Frentzen continue d’inscrire de nombreux points alors que quatre rangs plus loin, en huitième position, le champion 1996 peine à trouver du rythme.

La tournée européenne se poursuit en Allemagne, sur le redoutable tracé d’Hockenheim. Avec une puissance moteur inférieure à certaines autres voitures, les Jordan ne s’attendent pas à une course facile. Pourtant, les qualifications réservèrent une belle surprise : la deuxième place sur la grille pour Frentzen, à cinq petits centièmes de la pole de Häkkinen. Sans M.Schumacher, l’allemand devient véritablement l’attraction du week-end et ses récentes performances font remonter dans le public, une certaine estime pour le pilote Jordan. Mais dès le départ, la guêpe jaune se fait déborder par les deux Ferrari qui s’envolèrent rapidement. Pour Hill, rien ne va plus. Privé de freins après seulement dix-tous, l’anglais songe de plus en plus à raccrocher son casque, assommé par les résultats de son équipier. Pour son équipier allemand, la chance est de son côté. Après la crevaison et l’abandon de Häkkinen, le voici en lice pour un quatrième podium. A l’abord des derniers tours, l’allemand aperçoit les deux voitures rouges devant lui mais le temps manque et c’est donc en troisième position que s’achève la course de l’enfant du pays, performance éclipsée par le superbe grand-prix du remplaçant de M.Schumacher, Mika Salo. Sur le tourniquet hongrois, l’ordre ne change pas. Qualifiées en troisième ligne, les 199 connurent un grand-prix bien calme jusqu’au drapeau à damiers, passé en quatrième et sixième position. La douzième manche de la saison se dispute sur le tracé de Spa-Francorchamps. Un an après son inoubliable doublé, Eddie Jordan rêve d’un résultat identique sur la piste ardennaise. Si les McLaren sont grandes favorites, les deux bolides jaunes bloquent la deuxième ligne sur la grille. Parti troisième, Frentzen ne pourra jamais inquiéter les flèches d’argent. Derrière, Hill manque son envol et n’est que septième au premier passage dans le Raidillon. Il profita du dernier arrêt tardif de Salo pour inscrire le point de la sixième place, son dernier de l’année, mais aussi de sa carrière. En effet, le champion 1996 ne se sent plus à sa place et préfère renoncer plutôt que de tenter l’année de trop. La manche suivante se déroule sur le tracé de vitesse du calendrier, le sensationnel Monza. Très rapides en Allemagne et en Belgique, les Jordan sont à nouveau parmi les plus véloces. C’est ce qui propulsa l’allemand en deuxième position sur la grille, sept rangs devant Hill. Le grand-prix semble tourner en un cavalier seul du champion 1998 mais peu après la mi-course, le voici ratant un passage de vitesse, provoquant une embardée de sa monture dans le décor. Sans personne devant lui, Frentzen hérite du commandement qu’il conservera jusqu’à l’arrivée. Ce second succès le replace plus que jamais dans la course au titre, l’allemand ne rendant que dix petits points à Irvine et Häkkinen. Au championnat constructeur, l’écurie anglaise trouve son compte en troisième place, loin des leaders mais loin devant le reste du peloton. Avec trois courses restantes au calendrier, Eddie Jordan peut encore rêver d’un sacre de son poulain, le phénomène de cette année 1999.

Et pour achever cette tournée européenne, quoi de mieux que le grand-prix d’Europe sur le Nürburgring. Très à l’aise tout le long du week-end, Frentzen réalise une étonnante pole position, confirmant sa très bonne forme depuis son accident. Pour Hill, rien ne va plus. Sa monture s’arrêta dès le premier tour, un souci électrique étant en cause. Mais sur l’autre 199, la course est parfaite. L’allemand vole et ce n’est pas l’apparition de la voiture de sécurité après l’effroyable cabriole de Diniz ou la pluie qui semble l’affecter. A mi-course, ni Häkkinen, ni Irvine ne sont dans le top 6. A ce moment précis, les trois pilotes sont au même niveau dans le championnat. Mais ceci n’est qu’une supposition car en piste, l'histoire est toute autre. Après un arrêt rondement mené par les hommes de Jordan, la 199 s’arrête dans le premier virage, victime du même problème électrique qui affecta l’autre voiture. La désillusion est grande au sein de l’écurie anglaise, persuadée de frapper un grand coup. Le titre n’est pas perdu mais avec douze points de retard sur le leader, les chances s’amenuisent. Elles seront réduites à néant lors du tout premier grand-prix de Malaisie à Sepang. Lointain quatorzième sur la grille, Frentzen ne pu empêcher le doublé Ferrari, mené par un M.Schumacher en pleine forme pour son grand retour. Avec la sixième place à l’arrivée, l’allemand doit s’avouer vaincu. Une chose est sûre, il terminera troisième au classement, comme en 1997 avant la disqualification du Baron Rouge. Pour Hill, le calvaire continue. Mieux qualifié que son équipier pour la première fois de l’année, il acheva son périple malais peu après le premier virage. Désormais, la lutte pour la couronne mondiale tourne au duel Irvine-Häkkinen et c’est à Suzuka que tout se joua. Parti quatrième, Frentzen mena une course bien sage avant de croiser la ligne d’arrivée au même emplacement. Sur l’autre voiture, Damon Hill fait ses adieux à la Formule 1, lui qui aura connu une carrière bien mouvementée, auréolée du sacre en 1996. Hélas, sa dernière ne sera pas la plus grande. Lointain douzième sur la grille, il partit rapidement à la faute avant de renoncer au vingt-et-unième tour, mettant un terme définitif à son statut de pilote de Formule 1.

Au final, la Jordan 199 aura remporté deux victoires, une pole position et six podiums mais surtout, aura permis à l’écurie anglaise de tenir la troisième place au championnat constructeur, notamment grâce à un Heinz-Harald Frentzen au top de sa forme. Personne n’aurait cru en début de saison que les petites guêpes jaunes pourraient se mêler à la victoire finale, et personne n’aurait imaginer un tel scénario pour l’allemand, et encore moins pour l’anglais, abattu par une telle domination de son équipier. Si l’équipe d’Eddie Jordan a atteint un tel niveau en 1999, les performances ne cesseront de dégringoler au fur des années et malgré la victoire surprise de Fisichella au Brésil en 2003, quatre jours après la course, le team anglais finira par disparaître en 2005. Et pour la petite anecdote, l’écurie BAR, qui nourrissait de grands espoirs pour la dernière du millénaire, termina dernière du classement des constructeurs, étant la seule écurie sans points après les seize manches du calendrier.

La Jordan 199 en chiffres...

Grands-prix :

16

Victoires :

2

Podiums :

5

Poles Position :

1

Meilleurs Tours :

0

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