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Brabham BT19

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Les pilotes-constructeurs n’étaient pas rares dans les années 60 mais seuls quelques-uns auront rencontré le succès, à commencer par Jack Brabham et sa mythique BT19…

Après une saison 1965 largement dominée par la Lotus 33 de Clark, la Formule 1 entre dans une nouvelle ère avec un changement catégorique pour ce qui est des architectures moteur. Fini les blocs atmosphériques de 1,5L, place aux 3L de cylindrée. Chaque écurie travaille alors sur un projet différent en espérant, évidemment, toucher le gros lot en fin de saison. Par exemple, la Scuderia Ferrari adopte son V12 présent dans ses voitures d’endurance alors que Cooper pari sur un V12 Maserati. Encore plus fou, BRM fait le choix d'accoler deux moteurs de 1,5L pour former un impressionnant bloc H16, une idée farfelue loin d’être au point. A cause du retrait de Climax, Brabham n’échappe pas à la nouveauté mais contrairement aux cadors de la discipline, l’écurie australienne fait le choix de la proximité en s’associant avec Repco, une société du même pays spécialisée dans les pièces détachées automobiles. A partir d’un bloc V8 Oldsmobile de 3,2L, le motoriste réalise un petit moteur fiable et robuste, sans doute moins performant que ses adversaires directs, mais bien plus léger, un avantage en somme. Autour de ce cœur, la BT19 possède un châssis tubulaire très léger sur lequel repose une carrosserie verte et or en fibre de verre, à ne pas confondre avec les Lotus fortement ressemblantes. Pourtant, la rivale anglaise est distincte en tout , notamment au niveau des suspensions et amortisseurs, bien plus exposés que sur l’anglaise. A noter également le remarquable travail au niveau de l’échappement avec des tubes passant entre les roues et l’arrière de la monoplace pour un résultat époustouflant.

Mais la BT19 telle que l’on connaît aujourd’hui ne ressemble en rien au modèle initial conçu par Ron Tauranac. La raison derrière ce changement reste bien sûr l'introduction des moteurs 3L. Avant que la FIA ne change complètement la donne, Brabham était toujours allié à Climax et, comme pour Lotus, la firme anglaise comptait bien équiper toutes ces écuries clientes. Problème, cette modification de dernière minute compromet les plans établis pour l’avenir, notamment le seize cylindres à plat inédit devant normalement équiper la BT19 à partir de 1966. Dans l’impossibilité de produire un bloc plus gros rapidement, Climax finit par jeter l’éponge et son projet pour ne fournir que des petits moteurs à ses quelques clients restants. Le choix de Brabham de se tourner vers Repco reste étonnant mais sur le papier, l’association pourrait bien fonctionner. Au lieu d’avoir un gros bloc surpuissant mais imposant et lourd, le constructeur australien décide de rester sur un modeste V8, notamment pour une question de fragilité car qui dit moins de cylindres dit forcément moins de pièces en mouvement. Le 620 V8, comme il sera appelé, n’est encore qu’un nouveau né quand arrive la première manche hors-championnat de 1966, le 1er Janvier, à East London. Et quelle entame ! Avec un chrono presque une seconde plus rapide que ses concurrents, Jack Brabham domine les qualifications. La course sera une autre histoire puisqu’après quarante-neuf boucles, l’alimentation en essence lui fait défaut. La jolie prouesse réalisée semble de bonne augure pour l’entrée en scène officielle de Repco, même si de nouveaux essais grandeur nature sont attendus pour fiabiliser l’ensemble. Et c’est lors des deux dernières manches de la Tasman Series, le championnat de monoplace d’Océanie, que le moteur est à nouveau envoyé en piste, dans une configuration cependant différente puisque la cylindrée descend à 2,5L comme le stipule le règlement en vigueur. Sur le Sandown Park International, il s’offre un nouveau meilleur temps avant de lutter durant quelques kilomètres face à Stewart, G.Hill et Clark, mais après seulement six tours, sa pompe à essence lâche, obligeant l’australien à abandonner toute chance de victoire. Il retentera de viser la plus haute marche à Longford pour la dernière de la saison, n’arrachant qu’une quatrième place en qualification, la faute à une abeille le piquant alors qu’il pilotait. En course, Black Jack ne fait pas le poids face à ses rivaux mais grâce au faible nombre d’engagés et aux problèmes mécaniques de Clark, il parvient à accrocher le podium, une belle récompense pour une voiture encore bien jeune. Avant que le championnat du monde de Formule 1 ne débute officiellement à Monaco, la BT19 ressort en piste à l’occasion de l’épreuve de Syracuse mais là encore, des ennuis d’alimentation le priveront d’un éventuel succès puisqu’il ne franchira même pas le cap du premier tour. Ces avaries à répétition font évidemment craindre le pire car jusque-là, le moteur australien n’a achevé qu’un seul grand-prix. Le doute est de mise mais une semaine avant la manche monégasque, Brabham s’aligne à Silverstone pour le BRC International Trophy et là, surprise, la BT19 s’impose, un soulagement pour son pilote à quelques jours de l’ouverture officielle du championnat...

La campagne 1966 s’ouvre donc dans la Principauté de Monaco par la mythique manche de Monte-Carlo. Chaque équipe présente alors ses forces pour ce rendez-vous glamour et sur la grille, les différences d’architecture sont forcément notables. Avec les anciens P60 de chez BRM et le Cosworth, Repco demeure bien seul avec son petit V8 pas forcément encore au point. Brabham n’est pas le seul à piloter pour son équipe puisque Denny Hulme l’accompagne mais pour ce dernier, pas de BT19 en vue, ce sera une BT22 avec un Climax de 2,8L qui lui sera attribué dans un premier temps. Mais en qualifications, la claque est énorme. Le champion 1959 et 1960 est relégué à presque trois secondes de la pole de Clark. S’il parvient à remonter de plusieurs places dès le départ, il ne franchira pas le premier quart de course, sa boite de vitesse l’obligeant à s’arrêter. A Spa-Francorchamps, circuit de moteur, la puissance est reine, du moins sur le sec. Car le jour du grand-prix, c’est un véritable déluge qui s’abat sur les Ardennes. L’orage est si violent que plus de la moitié des pilotes restent sur le carreau dans le premier tour. Brabham se fait une belle frayeur en effectuant une spectaculaire glisse à plus de 200km/h, finalement bien contrôlée. S’il termine quatrième, le pilote de la BT19 pointe tout de même à deux boucles du vainqueur Surtees. En France, pour la dernière sur le tracé de Reims-Gueux, Repco n’attend pas de grands exploits. Pourtant, Black Jack fait ici parler sa grande science de la course en utilisant parfaitement le système d’aspiration. Derrière Bandini, sa BT19 roule à une vitesse folle et magré cela, le bloc australien tient le coup. Ce sera finalement celui de l’italien qui cassera, laissant libre champ à l’australien pour voler vers un premier succès depuis près de six ans, une éternité pour un champion de son calibre. En remportant ce grand-prix, Jack Brabham devient le premier pilote à s’imposer sur une voiture de sa conception portant son nom, un fait que seuls Gurney et McLaren réussiront à imiter. C’est également le premier grand triomphe pour Repco qui bat, sur une piste entièrement dédiée aux gros moteurs, les Ferrari et autres BRM pourtant plus puissante. Fort de cette victoire, Brabham se porte en tête du championnat à la surprise générale mais tout peut encore changer. Mais à Brands Hatch, pas de changement. Le récent vainqueur s’offre la pole position devant son équipier Hulme, plus d’une seconde devant le reste du plateau. Et ce n’est pas la pluie du dimanche qui viendra perturber les hommes de l’écurie australienne, se défaisant des conditions humides pour mener royalement une course magistrale. Jack s’impose pour la deuxième fois de suite, à peine plus de dix secondes devant Hulme pour un premier doublé 100% Brabham, une première là encore. En quatre meetings, le team australien à complètement renversé la tendance alors qu’à l’inverse, les surpuissantes Ferrari s’enfoncent peu à peu dans la hiérarchie, tout comme les BRM, bien trop fragiles pour rallier l’arrivée…

Après ses belles prestations en France et au Royaume-Uni, la BT19 a désormais de grandes chances de briller aux Pays-Bas, en Allemagne et en Italie, des tracés aussi rapides les uns que les autres. A Zandvoort, la Brabham fait encore des merveilles, notamment grâce à une vitesse de pointe retrouvée et un moteur Repco en constante évolution. Hulme est aussi très à l’aise avec sa BT20 puisqu’il se classe second, derrière son leader, mais un problème d’allumage le contraindra à renoncer le jour du grand-prix. Débarrassé de son équipier et de Clark, lui aussi sur ennuis mécaniques, Jack Brabham n’a qu’à dérouler pour obtenir un troisième succès consécutif avec, fait rare, un tour d’avance sur tous ses concurrents à l’arrivée, une performance hors-du-commun. La manche suivante, sur le Nürburgring, reste à part entière tant sa longueur et sa difficulté en font un réel défi pour les pilotes. D’autant plus que, comme souvent sur ce tracé, des Formule 2, bien moins rapides que les F1, se joignent à la fête pour étoffer encore un peu plus un plateau qui diminue grandement au fur et à mesure que les tours s’égrainent. Brabham se hisse au cinquième rang sur la grille de départ mais comme à Brands Hatch ou à Spa-Francorchamps, la pluie fait irruption, compliquant encore plus la tâche des pilotes. Dès l’abaissement du drapeau allemand, l’australien jaillit de sa cinquième place pour se hisser rapidement en tête avant de s’envoler, toujours aussi vite. Dans sa roue, Surtees tient le cap et demeure très proche de la BT19 sans pour autant pouvoir l’attaquer quand à deux tours du but, l’embrayage de l’anglais flanche, l’obligeant à ralentir pour espérer finir l’épreuve. C’est donc sa adversaire que le double champion du monde vole vers ce quatrième triomphe de rang, l’assurant déjà quasiment d’une troisième couronne méritée. Pour cela, il doit repartir de Monza avec plus de trente points d’avance sur son plus proche rival, Graham Hill jusqu’ici. Black Jack manque cependant de rythme sur l’exercice du tour chronométré, le classant uniquement au sixième rang sur la grille mais comme à son habitude, il rattrape très vite son retard, ne mettant que quelques kilomètres pour aspirer et avaler tous ses concurrents. De nouveau en position de leader, l’australien semble se diriger vers un nouveau succès facile mais au bout de sept tours, une fuite d’huile condamne toutes ses chances. Malgré son abandon précipité, ni Hill, ni Surtees n'inscrivent de point. De ce fait, Jack Brabham devient officiellement triple champion du monde mais surtout, le premier et l’unique à ce jour à être couronné dans sa propre machine. Ne reste plus qu’à sceller celui des constructeurs, une banalité en somme au vu des performances de la BT19…

Avant de quitter le continent européen pour clôturer la saison en Amérique, Jack Brabham et son équipe participent à la dernière épreuve hors-championnat organisée en 1966, sur le tracé vallonné d’Outlon Park. Comme depuis déjà quelques meetings, le nouveau champion en titre sort du bois en qualifications en s’octroyant une éclatante pole position, devant son équipier Hulme et sa BT20. La course sera un vrai récital de la part des pilotes de l’écurie australienne avec, sous le drapeau à damier, un nouveau doublé qui n’en finit plus d’écoeurer la concurrence. Les deux dernières épreuves, aux Etats-Unis puis au Mexique, s’annoncent donc comme faciles pour la BT19 mais étonnamment, Black Jack se rabat sur la BT20, la même utilisée par son compatriote. Bien que le titre pilote soit déjà décerné, cette fin de campagne n’est pas dénuée d’enjeux pour ce qui est de la couronne des constructeurs, bien que Brabham soit largement en tête sur Ferrari. Sa nouvelle machine se comporte à merveille et c’est de nouveau en pole position que s’immisce le récent champion, six places devant l’autre BT20. Le grand-prix ne sera cependant pas aussi réussi avec un abandon pour les deux machines sur problème de moteur, une anomalie rare de la part de Repco. Mais parmi les non-classés de cette course se trouve Bandini et sa Ferrari. Sans point inscrit de la part de la Scuderia, l’écurie Brabham devient championne du monde des constructeurs pour la première fois de son histoire, un succès en partie dû à la parfaite corrélation entre le petit V8 australien et le châssis tubulaire ultra-léger de la BT19. Les derniers tours de roues de 1966 se déroule sur le tracé de Mexico et là encore, les Brabham sont au rendez-vous et bien que les qualifications soient moins réussies qu’à l’accoutumée, la course leur redonne l’avantage, même si, pour une rare fois, une autre monoplace les dépasse sous le drapeau à damier. Derrière Surtees et sa Cooper, Black Jack et Denny Hulme complètent le podium avec leurs BT20 avant d’entamer de nouvelles aventures dès 1967…

Pour cette nouvelle année, Brabham travaille sans relâche pour faire entrer en scène rapidement un nouveau modèle : la BT24. Si les BT19 et BT20 sont d’excellentes voitures, l’écurie australienne sait que relâcher ses efforts condamnerait ses performances futures. Mais pour l’entame de saison, la nouvelle machine n’est pas prête et c’est donc la BT20 qui ressort en premier lieu à Kyalami. La belle verte et or n’a pas perdu de sa superbe puisque ses deux pilotes monopolisent les deux premiers rangs mais en course, un tête-à-queue et de moins bonnes performances pénalisent l’équipe championne du monde, Hulme ne terminant que quatrième, Brabham sixième. Mais à Monaco, retour en arrière : Black Jack ressort la BT19, et ce pour les deux meetings suivants également, rappelant à tous ses concurrents que la monoplace championne a encore de beaux restes. En effet, l’australien réalise le tour chronométré parfait pour s’installer en pole position. Cette première place ne lui sera finalement d’aucune utilité car quelques mètres seulement après le départ, son V8 Repco part en fumée, une grande désillusion pour le champion sortant voyant son équipier s’imposer au terme d’une course tragiquement marquée par l’accident de Bandini. A Zandvoort, la BT19 reste alignée mais face à elle se dresse désormais l’arme fatale : la Lotus 49 et son fameux V8 Cosworth. L’anglaise, avec Clark au volant, volera la vedette aux australiennes, échouant toutes deux sur les plus petites marches du podium, le triple champion devant le Kiwi. La réponse aux voitures de Chapman doit rapidement être donnée sous peine de voir la couronne filer chez les adversaires. Ainsi, à Spa-Francorchamps, la BT19 ressort une dernière fois dans le cadre d’un grand-prix de Formule 1. Brabham, qui pilote la nouvelle BT24, ne prend que la septième place sur la grille de départ, à sept secondes du poleman Clark, loin devant Hulme et l’ancienne championne, quatorzième à douze secondes du meilleur temps. Sa dernière sortie n’aura pas la saveur rêvée puisqu’après quatorze boucles, le moteur explose. Un tour plus tard, celui de Brabham s’enraye lui aussi. Le clap de fin reste douloureux. En fin d’année, la BT19 réapparaît lors d'une épreuve hors-championnat à Oulton Park avec Gardner, une course étonnante mêlant trois Brabham à un plateau de F2 mais même avec ce plateau déséquilibré, il n’y a rien à faire, le V8 souffre encore. L’ultime sortie se déroule en Espagne, à Jarama, en Novembre 1967. Jack Brabham démontre ici encore son inéluctable talent, menant son petit bijou vers une belle troisième place finale derrière les Lotus de Clark et Hill, une jolie récompense pour une monoplace désormais révolue.

Au final, la BT19 n’aura pas participé à beaucoup de grands-prix officiels et malgré ses seulement dix départs, elle se sera imposée à quatre reprises, signée trois poles, cinq podiums et un meilleur tour. L’australienne aura surtout démontré que la force d’un petit constructeur allié à une entreprise inconnue à la discipline peut parfois fonctionner. L’idée du petit V8 compact, fiable et léger aura donc été la bonne et durant de longues années, ces huit cylindres deviendront la norme pour l’emporter, à l'exception de la Scuderia, toujours fervente des douze cylindres mélodieux. Brabham réalise à nouveau le doublé en 1967 avec le titre de Denny Hulme en plus de celui des constructeurs. Repco restera jusqu’en début d’année 1969, une courte existence en grands-prix saluée par deux couronnes pilotes et constructeurs, un fabuleux palmarès désormais devenu histoire...

La Brabham BT19 en chiffres...

Grands-prix :

10

Victoires :

4

Podiums :

5

Poles Position :

3

Meilleurs Tours :

1

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